mardi 8 juillet 2008

CHEMIN FAISANT (2)



11
Cette frontière extrême du langage, où la parole est la demeure de l’être.
Hector Bianciotti


Ligne imaginaire séparant deux territoires, la frontière s’insinue entre les Hommes et les cultures.
Il faudrait pouvoir s’emparer d’une telle ligne, pouvoir en faire une corde à sauter.
Selon que l’on est d’un côté ou de l’autre, de cette frontière, le temps est dissemblable : il ne donne pas les mêmes heurs. Et l’espace, en mesure et amplitude, se courbe différemment.
Être né quelque part, voilà bien la clef de voûte d’une existence. La construction dépend de l’origine du terrain, autant que des matériaux utilisés.
Frontière, front entre hier et demain. Extrémité d’un horizon mouvant. Limite que l’on n’atteint qu’en rêve. Séparation des corps. Fil entre deux êtres. Désir de transgression…
La frontière a pour fixe le trait ; a pour mobile la ligne.
Gare à ceux qui la franchissent, cette ligne : ils se retrouvent en marge !
Ils émargent leur vie ?

12
Nous construisons
nos tentes
à partir
de
légendes

nous y
dormons
dans la parole
offerte

Le désert est peuplé d’innombrables…
Le nomade suit la trace ancestrale,
un poids de sable
et de vent sur les épaules.
Il n’est pas dans l’errance,
mais dans
la reconnaissance du lieu.
Les pistes du désert
forment les rides de sa peau.
Le jour, le nomade sillonne et se repose ;
la nuit, il consulte
les livres de l’univers.
Sa lecture
est son propre chemin.
Le désert vit d’attente et de rosées.
Le Sahara, désert des déserts,
impose sa substance
sur la carte de l’Afrique.
Ses regs, ergs, dayas, sebkhas,
hamadas et autres djebels
dessinent son visage,
buriné par les vents de sable,
par le khamsin et l’harmattan.
Le désert est un mouvement perpétuel.
Dromadaires, chèvres, chameaux,
varans gris, scorpions, vipères,
damans, guépards, fennecs…
et les dunes qui cheminent…
le désert se meut
dans un silence bruissant.
Les nomades content l’espace

où nous comptons le temps.

Nous
vous conterons
à vous
les étrangers
d’un jour

combien l’Homme
a de mystères
qu’il ne sait
dévoiler

13
Le grain de sable est un objet malicieux qui se glisse dans une chaussure ou dans un mécanisme à seule fin d’en perturber la marche. À ce titre, il est indispensable au bon fonctionnement du hasard et de la nécessité.
Ce minuscule morceau de roche sédimentaire provient souvent de granite, ce qui le relie à la lenteur du temps. Aussi le sablier n’est-il qu’une mesure palpable de ce temps qui s’écoule, comme peut l’être la clepsydre, en rapport avec l’eau.
Si l’on presse entre ses doigts un grain de sable, une sensation à la fois de dureté (le quartz), de légèreté et de fuite s’impose, et, de suite, le grain roule contre la peau. C’est alors un massage rugueux qui s’opère, sensuel et rugueux.
Que l’on pense que ce grain de sable entrera peut-être un jour dans la composition du verre, et ainsi tout devient transparent : Mêle à la sagesse un grain de folie, nous dit Horace, il est bon quelquefois d’oublier la sagesse…

14
Une Mary-Morgan[1] habite l’étang du duc, près de Vannes. Parfois elle en sort pour tresser au soleil ses cheveux verts.
Un jour, un soldat la surprit sur son rocher. Attiré par sa beauté, il s’approcha d’elle. La Mary-Morgan l’enlaça de ses bras, puis l’entraîna au fond de l’étang, pour toujours.
La légende suit le tracé de la rive ; elle longe les siècles, tout en s’y baignant.
Chaque conteur qui relate cette légende, ressent, même en plein été, la fraîcheur de l’étang. Ses paroles coulent, sur la langue, et l’auditoire les boit, comme s’il avait traversé un désert.
C’est que la légende parle de ces eaux souterraines, qu’est notre inconscient. Elle fait jaillir, à la surface, des accents troubles de vérités. Plus elle est étrange, plus la légende révèle qui nous sommes, au tréfonds de l’histoire. Voilà pourquoi elle nous agite, comme les eaux de l’étang.
Et nous marchons, chargés d’images, vers ce que nous cherchons.
Mais que cherchons-nous, sinon la recherche ? Le trajet,
chemin faisant.


Daniel LEDUC
-------------------------------------
[1] Sirène

Aucun commentaire: