mardi 10 mars 2009

REDOUBLEMENT


Que de l’une à l’autre, de l’ombre à la clarté, nos réflexions se meuvent dans un répertoire où les ondes chromatiques se doublent du silence.

Du silence émergent tous ces échos perpétués dès l’origine du monde. Ce que nous (re)sentons ne s’exprime-t-il pas, le plus justement possible, par cette antimatière du sens ? Et du sens, la matière tisse les entrelacs furtifs.

Furtifs les regards sur le monde, par le prisme du poème, dans le poème du monde. La poésie percute. Autant qu’elle répercute toute réverbération qui ondoie dans l’invisible.

L’invisible, autre source de ce qui coule entre la poussière et les rais de la poussière – révélé lui-même par la visibilité des sources ; par ce qui demeure après que la lumière s’est tue ; que la nuit s’est éteinte ; que la limite se disperse par delà les limites.

Imite-le, cet élan grâce auquel l’enfant s’abandonne au bond, ce ricochet que donne l’apesanteur du rire. Sois dans le champ, sois dans la perspective.

Perspicace, tu le seras, sans cette ombre qui te poursuit.

J’ai doublé mes propres certitudes,
en abattre les branches mortes,
les feuilles noircies
d’encre, que seules
les nichées de mots volatiles
s’insurgent
contre les vents.
La nuit se double
de la profondeur du masque ;
toujours
s’insinuera-t-elle
entre deux cris ;
et nos faïences, dures et fragiles,
ne se briseront
qu’en un
raccommodement.
Les éclats
de voix et d’assiettes
ne portent-ils pas la marque
de la nécessité de vivre ?
J’ai doublé ma veste
d’un tissage
dans les langues du monde.

Que le saisissement soit double : la face qui ravit, et le revers qui prend. Que le saisissement comprenne l’inconcevable. Qu’il soit saisi dans le tain de la glace. Se brise… en échappant.

Échappant au volume, le point n’existe que par la pointe qui le désigne. Pointer du doigt, pointer du poing, cela revient au même, que pointer le doigt qui pointe vers la lune.

La lune – sa face cachée, pour qui ? Que voit-on lorsqu’on regarde ? Quel double échappe à la sagacité ? En la demeure de toute chose vit un ravin où se renverse le monde. Figure qualifiée par son antithèse.

Antithèse, voilà ce qu’est liberté. Le doute est une porte qui claque. Et par les courants d’air, la pensée se propulse ; le pollen s’en va féconder.

Féconder la mémoire, l’abreuver de ce futur qui suinte le long des rêves. Que le souvenir façonne l’éphémère. Qu’il y ait du stable dans l’instant.

L’instant se resserre en un point suprême, supernova, trou noir où les désirs s’absorbent. Point de convergence des forces, des états, des atmosphères. L’instant s’oublie ainsi qu’un enfant, qui fait un songe sous lui.

Lui, lueur, échos de nos ressacs ; elle, fontaine d’où jaillit le feu : le temps, la vie nous janusinent ; et nous allons au travers des chemins, perdre et chercher, croître et rapetisser, par l’envergure de ce décor qui redouble l’horizon

Daniel LEDUC

vendredi 27 février 2009

CIELS D'HYPNOSE (1)


1
Tu t’appuies sur le tronc d’un chêne –
ton écorce
recouvre-t-elle
la nuit ?
À la lisière de l’aube
les lumières de la ville se confondent
avec le miroitement du ciel.
Tu t’appuies sur ton ombre –
n’y a-t-il d’enveloppant
que ce qui fuit ?
Tes gestes, là, sur cette parcelle de terre…
voilà des branches
agitées par
quels intervalles ?
La ville se reconnaît
aux échos qui la propagent.
Dans quelle vibration
t’enfonces-tu ?
Avec
quelles autres
veines ?
Les réverbères sont des
fûts /
remplis d’étoiles.

2
Sur ma tasse de thé
un nuage de lait dans le ciel.
Sur ma fenêtre
un autobus klaxonne
en direction du soir.
Sur d’autres temps
la neige se balance,
la ligne téléphonique
oscille –
ta voix pénètre,
qui ne traduit que quelques mots
caduques.
Combien de temps
de silence entre nous ?
Toujours
nous sommes à la périphérie des choses,
à pivoter sur
nous-mêmes.

3
« Les saisons mijotent dans la marmite »,
j’ai entendu cela ;
mes pas traînent
des algues
sur la grève ;
un cassoulet m’attend
comme m’attendent ton rire
tes varechs dans les mots.
La radio crépite
ainsi qu’autrefois ;
elle se suspend
– peut-être –
avant
que tu ne dises.

4
Il y a de la brebis dans le ciel,
du renard
dans l’horizon.
Le creux mange la terre,
où nous danserons tantôt.
J’ai sorti les poubelles
pleines de portes à claquer.
Tonnerre.
La percussion / battante.
C’est le trou qui nous parle de la guerre.
Absence
détonant

5
Faudrait-il écouter
tous les regards palabres,
tous les regards
taiseux –

Daniel LEDUC

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(1) Expression de Gaston Miron

samedi 7 février 2009

VOYAGE



Le train au fur et à mesure efface le paysage
et nous filons vers cet ailleurs
dans un espace au temps rapiécé,
la courbe du regard se joint à l’horizon
jusqu’à perdre la direction du sens,
nos mots se trompent eux-mêmes de conversation,
ta main se pencherait-elle par la fenêtre
si l’impossible pouvait s’ouvrir
telle une gueule d’ombre lacustre,
le désir d’en finir avec ce qui s’achève
de perpétuer la rosée jusqu’au soir,
d’en baver pour que l’envie demeure
jusqu’à la dernière salve de vie,
le train se démesure comme un dépaysage,
et nous pourchassons
ces bribes de souvenirs
pour en faire un patchwork
brossé de valses
de courants pélagiques,
et nous traquons
tous nos désirs rompus
jusqu’aux marées du soir,
la pluie est une sève tardive
nous dira le planteur
auprès de son âge,
et du miroir qui bruine,
et de toutes les tentations,
le train ne sifflera
qu’après s’être vidé
de toute forme de rythme,
et nous quittons nos vieilles nippes
nos discrètes allures
espérant s’équiper
des seuls élans qui vaillent,
les vieilles se chaussent encore
de chansons folkloriques,
même si le temps
est un rasoir,
de la perte du vide
nous n’y couperons pas,
le train s’emballe
à la pleine lune
le train s’emballe,
nous recueillerons des chiffres
des chiffons de fleurs
des chiffonnages d’oiseaux
calculerons
le monde,
calculerons l’incalculable
monde,
un homme suit la trace qui précède
c’est en cela qu’il pense
il ne trace que des brûlures
c’est en cela qu’il se révolte,
le train ne s’arrêtera qu’à la naissance
de l’horizon,
plus loin le continent
devient chimère,
et nous marchons
pour atteindre la marche,
gravir
un espace
qu’il nous porte à distance,
la femme se dicte
une pensée oblongue,
elle s’accroupit pour voir la cime,
l’espoir rutile
sur ses ongles,
le train
passera son temps,
et la marée
domine,
et l’éclat
se manifeste,
et la tornade
virevolte,
et les îlots
s’enlisent,
et le sang
palpite,
et la voix
explose,
le train divague
effaçant son propre terme… son propre terme… sa propre… voie…

Daniel LEDUC


mardi 13 janvier 2009

Aux Fils du Temps


De ces nouvelles émergent des personnages ayant un rapport particulier au temps : le libraire, convoyeur de mots, le célèbre auteur du Livre des Grands Paradoxes, le Maître des Grandeurs et Docteur des Symboles.

Daniel Leduc décline dans ce recueil des thèmes qui achoppent au temps : recherche d'identité, intimité des femmes, communication, révolte, doutes de l'artiste, sagesses improbables, mort, sexe.

ISBN : 978-2-296-06872-8 •
janvier 2009 • 156 pages
Prix éditeur : 15 €


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Cher Daniel Leduc,
Je me suis régalé en lisant "le temps éperdu", et m'apprête à lire le reste.
Bien cordialement à vous.
Etienne KLEIN
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Disponible sur

mercredi 24 décembre 2008

À LA TOMBÉE DE L’AUBE


« Je suis né dans le soir qui se lève », dit le vieillard s’adressant à l’enfant. « Sais-tu que deux jambes font plus que trois, et qu’à trop posséder on s’appauvrit soi-même »
La nuit est un partage pour qui veut reposer.

Dans le temps, comme souvent disent les vieux… qu’y a-t-il donc dans le temps ?
La mémoire, se souvient-elle du futur ? De l’antérieur, de l’avenir du futur ?
Les pirouettes,
virevoltantes, sont
dans le temps.

Comme l’eau est un désir, comme le feu est une jouissance,
de même
ce que l’on cherche
flambe –
dans la limpidité.
J’ai retenu de ton visage
quelques gouttes,
chaudes comme de la cire,
émotion
suspendue,
flageolante
flamme.

« N’aie jamais peur du vide. Le vide est plein. »
Là-bas se trouvent des myriades de vide ; et l’on croit que le brouillard se lève ; que la vie n’est qu’un pont suspendu.
Le corps, sous la pression des actes, se creuse. Nos pensées se sillonnent.
Un coup de bêche
dans la seconde,
qu’elle ensemence
notre minute,
que nos heures soient propices.

Dès l’aube, à l’approche du reflet, les objets s’éclipsent de lumière. La moindre parcelle du monde devient un langage. Il nous faut croire au texte – pour déchiffrer le jour.
J’ai suivi, parmi la foule, la silhouette qui danse.
Je l’ai suivie dans les contours ; dans les rues adjacentes ;
au bord de ce canal qui conduit au canal ; de ce reflet qui conduit au miroir.
Je l’ai suivie, ma propre incertitude
.
C’est par ce ʺlever de soleil ʺ que nous connaissons l’erreur,
la menterie
de ce qui ne se couche
jamais.

L’horizon nous configure dans nos pensées ; et c’est bien par l’infini que nous sommes mortels, non par le temps qui compte.
J’ai lu quelques nuages, cirrus stratus et cumulonimbus, dans le ciel d’un ouvrage sur la navigation. Ce sont des lettres qui se déforment selon le temps. Des grimaces parfois, ricanent dans l’univers.
Tout livre
ne s’ouvre
qu’à l’horizon
sans bornes.
Rien ne se ferme –
sans toit.

Lorsque en ma perspective
ton visage est entré,
que l’aube s’est écartée
au seul vent de ta voix,
j’ai connu l’étrangère
en toi
comme un son familier,
qui se brise
sur les frontières,
– ʺje te salue
vieil océanʺ –,
la mer est cette étreinte
dans la houle
passagère,
perspective
du vent.
Une porte qui s’ouvre :
et l’aube sort
de ses gonds.
J’ai entrevu
tes lèvres,
je te salue
céans.

Maintenant
est le jour,
détenu
dans ta gorge…

Daniel LEDUC

vendredi 19 décembre 2008

AU PIED DE L'ARBRE


Au pied du mur le lierre s’enracine dans l’arborescence de l’ombre –
nul ne saurait contraindre l’éclair,
ni la foudre à tomber.
Les glissements de terrain, et de sens,
parfois nous emportent vers
l’impromptu,
grâce auquel advient
la résurgence du jour.
Là, sous le houppier
d’un arbre incalculable,
je demeure
dans le discours du monde ;
ce qui tente de vivre
se répercute
par delà les frontières
.
Le fourmillement d’un ruisseau
effleure mes oreilles,
comme si ce qui va
se presse
contre l’abîme
.
N’y aurait-il pas de tiges
à tailler,
d’élans
à sarcler,
de vertiges
à émonder –
que les souffles
nous traversent
enfin ?
Et les crampons du lierre
vont-ils
fissurer l’ombre ?
C’est la demeure
où tout voyage,
l’espace entre l’aube et le vent,
je
est un mobile
,
au pied de l’arbre /
la vie
s'implante /
dans l’oscillation
des soleils.
Entrenœuds,
les signes
fixeraient-ils –
ce qui s’éloigne /
avant
de s’éclipser… ?

Daniel LEDUC

lundi 8 décembre 2008

L'ARPENTEUR


Faire les cent pas, savoir que le cent-unième sera le franchissement du Rubicon, qu’il faudra s’y résoudre, que la vie est un pied posé sur des charbons ardents, savoir naître enfin, n’être qu’une bouffée sur des braises, qu’un sifflement au cœur du feu.

Devant l’horloge de la gare je fais les cent pas, en attendant quelle aventure ? Est-ce une femme que j’attends, ou le départ d’un train en direction d’Istanbul ? Ne serait-ce pas le passage, que j’attends ? Le passage, et son train d’insouciance ? Ces heures qui passent, alors que fiche le camp ?

Il a pris la direction du soir, le vieillard qui arpente. Et ses pas prennent la mesure de chaque courbe des angles, de chaque angle du cercle. Ses regards se posent, aussi. Et le repos, est une demeure qui tremble.

Je ne marcherai plus. À la mesure, de ce qui se dit, tout là-haut, sur le siège. En estimant que le pouvoir, déforme la quadrature du cercle. Que les règles sont gauchies, à seule fin de s’insinuer dans les consciences. Que l’arbitraire, aussi, devient la règle. Et qu’arpenter, nous fait tourner en rond. Je ne marcherai plus. Non !

Le pas de porte, c’est ici où commence l’arpentage ; où la topographie s’instaure ; le relevé des sources, c’est ici. La mémoire s’ouvre, comme une porte, pivote, comme une porte, grince, comme une porte… Et l’on entre, à pas de loup, dans un poulailler en désordre. De la capture ou du souvenir, lequel est le premier ? De l’œuf, ou de la poule… ? Et de l’univers, et de l’infini – lequel ?

Arpentant mon sommeil, je me retrouvai dans un grenier rempli d’objets et de poussière. J’ai tenté d’ouvrir une malle, le couvercle était trop lourd ; et des toiles d’araignées ont chuté en cascade sur mon front ; le temps avait une odeur persistante et caduque. À mon réveil, la pluie ressemblait à une fine poussière, dépoussiérée.

La marche qu’il faut gravir, vaut-elle la marche, qu’il nous faut accomplir ? Et de la senestre à la dextre, voit-on les pourtours du chemin ? Que saisit-on, de la triangulation du voyage ? La route, faudrait-il qu’elle se déroute, pour qu’on l’empruntât, pour de bon ?

Je ne mesure pas la distance parcourue ; je veille à ce qu’elle m’échappe ; comme un serin qu’on libère de sa cage ; qui explore les nuages ; et le chant.

La nuit ne se révèle pas par l’obscur, mais par la cadence des étoiles. C’est un rythme sourd, une pulsation haletante, que cet univers, incommensurable. Seule l’imagination pourrait l’arpenter, si tenté qu’elle ne se limite pas à elle-même.

Faut-il que je me heurte à mes propres cloisons, pour pouvoir échapper à moi-même ? N’y a-t-il pas d’autre mesure que cette chaîne d’arpenteur, à laquelle se fixe la conscience – telle une chienne farouche, prisonnière de sa corde ?

Un arbre, une source, quelques arpents de terre, voilà de quoi planter sa tente, demeurer dans la mouvance des heures – prendre la mesure de chaque chose. Savoir que rien ne peut être jaugé, sans son poids de contingence.

Je viendrai, certes, je viendrai où il faut que je vienne… mais par des chemins de traverse, par des voies secondaires, par les marges sans lesquelles aucune ligne ne se trace ; par des passes détournées, des pistes recouvertes, je viendrai, où il faut que je vienne… Et puis. Je décamperai !

L’étranger, où est-il ? L’étrangeté, où est-elle ? Qui passe, devant nous-mêmes ? Qui nous retient ? Et nous, nous tous, ne sommes-nous pas étranger – cet autre, qui arpente dans ses propres combles ? Ne sommes-nous pas l’inconnu(e), sur un temps qui s’ignore ?

Daniel LEDUC