samedi 27 septembre 2008

GESTES DU JOUR (27)


L’escalier se perd dans les ombres, les ombres dans les ruelles, les ruelles dans la ville…et l’infini se courbe sur le halo des réverbères.
N’as-tu connu que des amours de sable ? Que du verre dans la transparence des regards ? Du fugitif, au sein même de tes intrigues ?
Et ton corps, posé dans ses caresses, s’est-il assouvi de la parole du geste ?
L’escalier s’entortille autour de la pénombre.
Crois-tu qu’il y ait des corps, gisant comme de la pierre ? Des corps vivants, gisant comme de la pierre ?
Non ! Les morts eux-mêmes sont des corpuscules nerveux. Eux-mêmes disent ce qu’il y a d’immuable dans l’univers…
Et ton plaisir ?
Je n’en connais qu’une marche.
Qu’une ruelle.
Qu’un rai
voilé
de lampadaire…
De ton plaisir.

Le corps, c’est aussi la mémoire du corps. L’inlassable mémoire, empreintes de chaque effleurement, de chaque palpation, de chaque étreinte, de chaque rupture. Ce qui nous sculpte en nous-même, par les pores et fibres de la peau.
Même la ville est un corps.
Ses artères, bien sûr ; ses venelles ;
son cœur, milieu du centre, point névralgique ;
ses faces et ses façades ; ses fronts et frontispices ;
ses arcades, ses bouches ; ses autres appendices ; et
ses pattes d’oie
d’où essaiment des nomades
allégoriques…
La ville jouit
de la faveur
des corps.
Et ton corps
me circule.
Je t’ai aimée, avant même de t’aimer ;
je t’ai
soulevée
par des encombrements.
Les mots, ce sont eux,
les premiers signes
La ville dort
quand même
je t’investis.

Dans l’utérus de la ville se fécondent les futurs objets du désir.
Tu t’es dévêtue auprès d’une fontaine, j’y abreuvais mon souffle.
J’ai encerclé ta peau par ces murmures, par ces cris qui se déchirent contre les flancs.
La ville s’essouffle, à l’heure où les amants vont boire.
Pourquoi, après chaque orgasme, abandonner ta mue ?
Je reste ainsi, dans un sommeil lucide, à étreindre une absence.
Et la nuit est encore ce jour, culbuté, où plus rien ne tient debout.
Çà et là, c’est une ville qui nous fantasme, quand nous dormons en elle. Une ville
aux sursauts
du réveil. Réinventée…

Daniel LEDUC

mercredi 10 septembre 2008

GESTES DU JOUR (26)


Que la nuit est transparente, traversée par la ville. Peut-être y a-t-il des foules, qui se lèvent comme des aubes. Y a-t-il des échappées, dans le marbre qui sommeille.
J’ai la mort dans la tasse ; âcre marc de café, qui, dans la gorge, fusionne.
Je bois, jusqu’à l’horizon, l’énervement du temps.
C’est comme une impatience, qui me prend par l’ouïe, me raconte qui tu es, toi, qui ressemble : à une goutte d’eau.
Je te verse te renverse et te renverse encore.
Après les corps, me diras-tu :
« une goutte d’eau ça ne ressemble…»
Transparence de la nuit.
Échappement de la ville.
Ça goutte
là où ça gîte. La vie.

Entre l’autre et soi-même s’immiscent les mouvements des mots. Et la même phrase, dite en un autre lieu, prenant tout autre résonance, marque un geste indéfini, qui dévie son sens et la portée du sens.
Ainsi relions-nous la parole, aux échos aléatoires qu’elle génère.
La ville se construit, tant par le regard, que par l’humeur qui nous guident.
Et le frôlement machinal de la foule
s’inscrit en palimpseste
sur le grain de la peau.
J’ai croisé des yeux de miroir ; d’autres de caverne ; d’autres encore de vague, submergeant les miroirs.
Je t’ai sentie soucieuse, mâchant je ne sais quelle subsistance ni quelle amertume.
« La guerre est en nous », as-tu lâché
comme un pet
qui bredouille.
Derrière la ville, là-bas,
y a-t-il encore
des terrains vagues ?
Où l’on pourrait
se figurer ?

Figures, du haut des nuages des gargouilles nous observent, et l’absence de vent suspend la trajectoire des formes.
Figures, les enfants frappent sur les flaques avec leurs chaussures d’eau. Des étoiles se profilent dans leurs songes. Et la pluie, étrangère, se glisse entre la pluie.
Figures, c’est peut-être du sable, qui marque nos pas, alors que nous allons, en des endroits voûtés, où le temps courbe, ce qu’il ne peut courber…
Figures, voilà l’autre nomade, le conteur des nuits claires, dont les fables s’apprêtent, ainsi que des gymnastes.
Figures, nous sommes une envolée, un essor d’apologues, une sourde pirouette, un écla-
tement de voix.
Figures, la ville se transfigure.
S’étire
l’élan
qui nous disperse,
l’élan
qui nous confond –
ce que nous sommes
caoutchouteux,
nous autres hommes.
Figurez-vous.

Daniel LEDUC

dimanche 7 septembre 2008

GESTES DU JOUR (25)


Le cercle est-il interne ou externe ? m’as-tu demandé un jour d’hiver, l’univers est-il en nous, ou en-dehors de nous ?
Je n’ai su que répondre ; et la ville s’est approfondie dans son mystère.
Il y avait un attroupement autour d’un avaleur de sabre ; une foule compacte autour d’un cracheur de feu ; une multitude autour d’un montreur d’ours ; c’était l’hiver, la ville se resserrait sur nous.
Et là, nous étions seuls,
dans notre unique question.

Dans la ville, le feu circule pour signaler. Vert, jaune ou rouge, c’est un feu péremptoire, qui parfois cligne de l’œil, lançant ses injonctions.
Je me souviens du feu de la forge, bouquets d’étincelles, crépitements sous les coups de marteau – le bras d’Héphaïstos, pèse sur l’enclume son poids d’ombre chancelante.
Je me souviens du feu fol et du feux follet. De la nature en feu, sous le soleil d’automne.
De feux mes amis, disparus.
De ce foyer, quitté un soir, pour une autre mémoire, pour une autre vi(ll)e.
Loin du feu prométhéen. Loin de la motte d’argile.
Loin
des promesses de l’aube.
Au plus près
des lumières de la ville…
tel un feu marmottant –
qui
s’entretient.

L’eau de la ville s’écoute, dans les égouts, dans les gouttières ; dans tout ce qui suinte, de temps, et d’origine ; l’eau dégouline, après avoir mouillé, l’humidité de l’air.
Enivrante, l’eau de la ville, comme l’eau de vie.
Plus que de raison, j’ai bu ma source et mon souci.
L’eau du désir, m’a fait gargouillé dans les veines.
Et je me suis dissous, dans des chairs sirupeuses.
Et l’harmonie des formes a exalté mes forces.
Je suis, dans la ville, un fluide ; léchant les vitrines, la pénombre, qui exsude des jours,
contusionnés comme
quelques
souvenances. La
ville est un
lampion –
et fête
ce que vivrez
. La vie.

Daniel LEDUC

vendredi 5 septembre 2008

GESTES DU JOUR (24)


Sur la place, d’anciennes foires murmurent encore, et ce sont les enfants qui perçoivent, ce que le passé devise avec l'éloignement. Admettre qu’une vie soit faite, de trous d’air autant, que de pleines heures. Toute place prend la place qui demeure. La ville / s’écoute grandir – spasme espace. Et j’entends
la pluie graviter
des siècles anciens ;
et ces contes qui mijotent
au fond des marmites ;
et ces cris bouillant
dans le cœur des miséreux ;
et ces boutiquiers qui piaillent
enfournant leurs richesses
comme on enfourne un plat
de petits-fours ;
et ces mirlitons
se pendant au cou du ciel
avant que l’oubli ne fasse
le ménage ; et
ces autres contours
qu’aucune mémoire
ne sait retenir... Là,
j’entends la place :
qui m’attend.

Le seuil de chaque maison est un pas franchit qui porte.
J’aurais voulu croire que le temps passait comme un café corsé ; que nos passions se faisaient tamiser par les sables mouvants ; que rien ne restait lorsque tout était dit ; j’aurais voulu filtrer, mais quoi, de ce torrent sans eau ?
La ville recueille les pas des mots qui passent.
Il en demeure pas moins.
Le reste,
où reste-t-il ?

Souvent les voisins sont reflets de nous-mêmes ; ils côtoient en nous ce que nous avons de voisinage ; et leur porte est semblable aux portées qui rythment.
La ville est un assemblage de proche et de lointain ; l’horizon s’y replie comme après la brume ; limitrophe et contigu déforment les distances.
Les bruits eux-mêmes
sont chantournés,
se raclant les uns
contre les autres.
J’essuie mon dernier rêve.
Ainsi
sera-t-il plus net.
Dans
sa propre obscurité.

Daniel LEDUC