vendredi 10 octobre 2008

GESTES DU JOUR (30)


Encore des murs derrière les murs, des murs sur les côtés. Ce qui protège, et qui sépare. Ce qui écarte et réconforte.
Encore des cloisons, des murs. Des façades, sur lesquelles s’appuient, les bruits et les tempêtes. De la brique, du plâtre, du béton…
Les toits de la ville reposent sur les pensées, sur la tête, les bras des Hommes.
Et nos pensées,
sur quoi reposent-elles ?
Entre les routes qui s’entrecroisent, mon pas circule, prêt à franchir le pas. Les regards de femmes me portent plus loin – c’est l’horizon qui pense.
À une ville,
rien ne ressemble autant
que la ville. Rien n’est aussi
différent.

Le passé se reconstruit dans la mémoire, non qu’il s’empile, mais il s’enlace, s’enroule autour, se renvide, se vrille dans la chair des jours.
Le passé, par les trous de mémoire, ne passe pas, par le chas de l’aiguille, ne passe, qu’avec le temps.
Même nouvelle, la ville est un passé ; sur des strates millénaires ; où la nature s’est érigée en piles de feuilles ; pour des livres non-écrits.
De quoi se souvient-on lorsqu’on oublie ? Et de quelle absence, émergent nos traces ?
J’aurais voulu croire
que mes amours
dormaient entre mes yeux --
certaines
s’étaient enfuies,
abandonnant mes sphères :
comme on quitte le nid
après l’orage. Certaines
s’étaient enfuies…

La carte, représentation des forces, calque la ville, sur ses itinéraires, galbés. Il y a de la distorsion entre l’image et le palpable ; de l’étrangeté entre l’esprit et la parole…
La ville ne s’insère dans aucune case, si grande soit-elle. Pas plus qu’une pensée ne saurait s'enchâsser dans un laps de temps.
Ici-même, il y a des grandeurs qui échappent.
Qu’en est-il, alors, du faisceau des étoiles, des furtifs multivers ?
Je compte, sur aujourd’hui, pour compter sur demain.
Une fille, dans mes bras, se confie :
c’est tout-
un univers.

Daniel LEDUC

vendredi 3 octobre 2008

GESTES DU JOUR (29)


Les verticales des tours rejoignent l’horizontale du ciel, dans son peuple de nuages ; il y a, au plus vif du regard, une profondeur de champ, en ces villes qui grattent et titillent le ciel, avec, leurs bras de béton. Même où réside le vertige, les parallèles flirtent à l’infini.
J’ai regardé la beauté sous un angle : elle était en train, de se dévêtir.
Et je t’enlace, beauté ; te confond avec toi-même ; en ce que tu es ce qui n’existe pas ; beauté, d’incertitude.
Je prends ton corps, même dans ses plis ; dans ces rides, sillons du temps.
La ville, savez-vous, elle transfigure.
La pluie devient sèche ; le sec devient luisant.
La nature, c’est elle qui participe.
Au participe. Présent.

Et l’on voudrait que rien n’efface les courbes de l’horizon ; que le sang ne coule en dehors des veines ; que la nuit soit un autre jour, plein de sens et d’aurores ; que les frondaisons perdurent par-delà les circonstances ; que le sein soit volubile, et la bouche, nourricière ; qu’il y ait de la terre dans l’air, et de l’eau dans la pierre ; que les fleurs ne soient jamais fanées ; ni le désir, ni l’ocre ; ni le feu, ni l’ombre ; ni le regard ; ni l’ailleurs. Ni
ce qui nous é-
rectile
jusqu’au cœur
des saisons…
Voilà la ville
où nous vivons,
pensante
en son sommeil. Ville
où l’attente
perce neige ;
et l’espoir,
du béton.

La viande, elle est dans les mots, dans la chair, et dans la chair des mots ; elle se nourrit, aussi bien de l’eau, que du feu qui persiste après le feu.
À l’étal du boucher, bien sûr, c’est la mort qui s’exhibe ; mais la transfiguration de la nature, l’infinie finitude, l’impossible effacement du mystère ; cette viande qu’est le regard, qui questionne.
Je découpe les pages d’un livre, tranche dans la lecture, incise les phrases avant qu’elles ne m’échappent. Je reconnais le bon morceau à sa résistante tendreté. Et je mâche,
les nerfs et les muscles,
ceux même
que je ne digère pas.
La ville est un livre,
à la fois
ouvert et fermé –
porte battante
aux vents.

Daniel LEDUC

mercredi 1 octobre 2008

GESTES DU JOUR (28)


Certaines villes ont des boyaux par lesquels transitent des substances vitales, telles que les foules du métro. Chaque jour digère son flot de visages, d’expressions appuyées, de bourdonnements muets. Et la ville se sustente de ces circulations internes, alors même qu’elle engloutit les ordures et autres pollutions dégorgées par les Hommes.
Je respire ta peau ; l’encre de ta parole ; les fluides qui se dégagent d’entre tes cuisses ; la vie, en gestation, comme une fresque, jamais finie.
Dans une rue, là, au bord du trottoir,
une vieille femme geint :
on dirait qu’elle ravaude
son histoire,
tant s’effilochent
ses mots.
Je la regarde,
comme on saisit l’instant
qui nous échappe.
La ville demeure ; le fugitif,
aussi.

Derrière les fenêtres, s’encanaillent les ombres, avec la fringante voracité de la lumière. Tout ce qui peut s’émouvoir se meut dans la transparence du réel ; et les fruits du visible mûrissent au contact de ce qui s’évapore.
Me disais-tu combien l’amour est fait d’ondes et de corpuscules ; combien la danse des cercles et des oiseaux est une corde, dans l’oscillation du monde ; et combien nous participerons, peut-être, à la trajectoire des ensoleillements.
La ville repose
sur l’éternelle question
du vide – faut-il bâtir
sur de l’histoire,
ou sur la table rase ?
Où naviguent tes mots
en cet instant ?
Que deviennent
tes
chan-
sons ?

Poussée et poussée et poussée,
Toujours la procréante poussée du monde.
Walt WHITMAN
La rue capte les dissonances du pouvoir ; et c’est elle qui, en dernier ressort, piaffe et regimbe, jusqu’à désarçonner le fumiste dragon. L’Histoire bégaye, baragouine et ânonne ; mais toujours l’Histoire se ressaisit, se remettant en selle. Et la rue, traverse le temps, en dehors des passages….la rue.
J’aurais voulu, de même, traverser mon sommeil ; rêver qu’ « un jour, tout vallon sera relevé, toute montagne et toute colline seront rabaissés, tout éperon deviendra une plaine, tout mamelon une trouée… »(1) ; rêver....
Mais la ville est là, qui dicte ses flux et reflux.
La ville nous éveille, aux sens
interdits – que tout laïus giratoire
finisse
au rebut,
loin d’écrits et cités.
La ville, par les vents contraires,
se soulève,
troussée
comme sans vergogne ;
le temps……….lui appartient.

Daniel LEDUC

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(1) Extrait du célèbre discours prononcé par Martin Luther King au Lincoln Memorial de Washington, le 28 août 1963.