mardi 26 août 2008

GESTES DU JOUR (23)


Tout pont se traverse dans un élan de vertige et d’espoir.
D’un côté à l’autre, d’une face à l’autre, le réel dépend du reflet qui brasille.
J’ai des pas sautillant ; d’autres qui traînent, dans un rythme lent d’oscillations puériles ; des pas trébuchant sur des traces indistinctes ; d’autres pas que recouvre la neige, alors même, qu’il ne neige pas…
La ville est une couleur changeante, selon l’humeur de qui l’arpente ; elle se laisse appréhender avec les mêmes regards, qu’un film qui se dévêt, devant un(e) cinéphile ; bobine qui se déroule, au fil conducteur, de nos pensées mouvantes, la ville est une fresque.
Et j’observe ce qui change dans l’enchaînement des jours ; ce qui se transmet par delà les lacunes ; les voix qui se répercutent, comme autant d’images, tagguées sur la pierre.
Regarde la ville qui regarde.
Ce qui chavire, c’est l’essentiel
sais-tu.

La promenade nous entraîne où circulent les courants d’air. Toujours les nuages se fractionnent pour composer de nouvelles formes, désharmonies dans l’enchantement du monde.
J’ai cru percevoir un cri, d’où s’engendrait le silence.
La ville s’étreint, entre les courbes et les lignes, par l’imperfection que l’usure entretient. Si la splendeur était exemplaire, elle ne serait qu’un simple archétype, bon à jeter aux sorties. N’est beau que ce qui tremble. Et vibre la ville
sous les carcasses du temps.

Les chiens errants traquent les ombres de la ville. Leurs jappements jouent, avec les javelots, des lampadaires.
Parcourai-je à vélo des distances imaginaires ? Que la lecture des pierres multipliera de mythes ?
Saurai-je m’égarer, ainsi que la sagesse, dans les méandres, de la question ? Ne répondre, que par d’autres questions ?
Pourquoi la ville est-elle citée ? Et pourquoi la République, ne répond-elle pas ?
Je m’endormirai
dans l’attente de la mémoire ;
qu’elle te soulève encore,
fille
au regard
de fontaine ;
qu’elle t’emprunte
ces derniers mots :
« Ne pleure pas
de l’absence.
Le soir
n’est que l’aube
à venir. »

Daniel LEDUC


vendredi 22 août 2008

GESTES DU JOUR (22)


La vie s’étend comme un vieux drap mouillé.
Que sait-on des perspectives qui franchissent l’horizon ? Le bruit court, que l’on ne sait connaître – que nul n’attrapera.
J’ai lâché un fauve, derrière des nuages moutonneux, qu’il s’éprenne des courbes de la splendeur, ainsi que je m’éprends des lumières de la ville. Que la beauté soit
dans la fureur des lignes.
Autant d’éclats, autant de silhouettes. J’ai rêvé
ne pas comprendre ce que je rêve. Savoir
n’est pas connaître ; et la truite se faufile
entre les filets d’eau.
Entre la ville en nous. Do not disturb
que le partage
se symbolise.

Le passage se prolonge par delà ses limites, par d’autres passages, lesquels se prolongent par delà leurs limites…
J’ai grandi dans un langage, où la ville pénétrait : par des mots d’enceintes et de brique ; des phrases tourbillonnant dans des bétonnières ; des accents pointus, taillés dans la bitume ; des onomatopées, suintant des chéneaux ; des silences, échappés de l’entêtement du temps.
Le passage n’est jamais une frontière ; mais un centre, où s’opèrent les aléas du centripète, du centrifuge. J’ai grandi
hors des refuges,
sur les lignes hachurées
des traverses ; là
où les trains
dégringolent de la nuit.
Tant j’ai rêvé la ville,
qu’elle a parlé
entre mes dents.
Passage
au creux du miroir,
entre qui va
et qui s’en vient.
La ville,
convoi
immobile,
le long des regards
des chalands –
que la lumière ébroue,
fragile. À la tombée du jour,
éva-
nescence,
où j’ai
grandi.

Au fond, notre expérience terrestre comporte seulement deux choses :
l’universel et le particulier.
Fernando PESSOA
Dans son effervescence, le corps se confond avec la pluie ; le désir, devient l’arbre à palabres.
La rue n’est-elle pas une rivière, charriant des êtres en impulsion vers eux-mêmes ?
Le corps se soulève, devant le plaisir, se soulève devant la souffrance, s’expatrie, dans le sommeil des morts.
Voici que la rue, retient la mémoire ; qu’elle retient et fait passer, des instants arbitraires ; que la marge et le trottoir, se bordent d’une même rigole, où les fantasmes échouent.
Du corps, se déracinent certaines pensées ; de nouvelles formes s’éveillent.
Et la rue n’est qu’un discours, balayé d’espoirs, de salissures ; et de tout autre rêve qu’engendrent nos pas, lorsque nos pas, sont dans, la démesure…

Daniel LEDUC

lundi 18 août 2008

GESTES DU JOUR (21)


Mais qu’y a-t-il entre la vitre et les persiennes ? Quelle odeur de poussière peut constituer l’avenir ? Que devient la lumière une fois éteinte ? Où sont chassées les ombres ?
Par la ville transitent des milliards de questions.
Quelques réponses errent, parfois, tels des sans papiers, prêts à se fondre dans l’encoignure de la première porte cochère.
La ville demeure sur sa faim, comme si le commencement d’une ouverture n’était qu’un appel d’air.
Dans ma poche, toujours plein de points.
Suspensions peut-être. Sûrement
inter-
rogations.

Mais ne vaudrait-il pas mieux s’échapper des contextes, ainsi qu’on s’échappe de soi-même ? Non.
La réalité, c’est notre sudation ; ça colle à la peau, dès le franchissement du col – nous naissons dans le regard, de ce qui transpire ; dans ce qui sécrète l’animalité du monde. Sans cesse nous naissons.
Et la ville fait partie de nos pores ; nous l’exsudons loin de la ville. Nous l’exsudons.
J’ai partagé mon siège avec un pigeon.
La nature paraissait bruisser dans son roucoulement.
Je me suis senti voyage.
Des ailes, et puis des îles.
Échappement du texte
qui, sous les plumes,
nous tient.

Mais la mer est dans les villes, au cœur des vents qui s’engouffrent dans les ruelles, là même où les passants n’ont jamais voyagé, hormis dans leur propre routine. La mer est dans les centres, houleuse ventre de foule.
J’accompagne le vol d’une mouette, de mes yeux clos sur le jour. J’entends, sourd, le ressac – qu’il frappe encore sur mes pensées.
Certaines nuits (blafardes) s’éclairent par les fanaux qu’on accroche du regard ; luisent, certaines nuits ; près des vestiges, presque oubliés ; la mer est un partage.
Je croise
où s’annonce la tempête.
La ville se déchire,
comme un vieux quotidien.

Mais rien ne presse.

Daniel LEDUC

dimanche 17 août 2008

GESTES DU JOUR (20)


Le macadam sous tes souliers
fondra
sous la sourde
canicule.
La ville est un prétexte –
traversée de questions.
Je m’en vais vous dire
ces voyages intérieurs
qui nous suspendent
au vide ;
ces lectures
avec lesquelles nous franchissons
tous les périphériques ; je m’en
vais vous dire
les paroles qui klaxonnent ;
celles qui cornent
comme d’anciens souvenirs
déboîtés
dans un encombrement
d’images.
La ville, je vais vous dire. Fantômes.
Ce qu’il y a
face aux pierres,
et derrière / chaque / éternuement / de façade ;
je vais vous dire –
avant
que ne fondent
les pas,
et la marche du monde.

Cercle et sommet – qui ferme et qui domine ?
J’ai franchi le périphérique dans un bruit de tonnerre / ici, là-bas, rien ne ressemble à rien / les vies sont aussi semblables que les galets dans un fleuve / les regards vont de droite à gauche, de bas en haut, de part et d’autre / les hommes, les femmes portent une histoire, au lieu d’un sac à dos / et les rencontres s’opèrent ainsi qu’une occlusion / rien ne ressemble à quelque chose, à quelqu’un d’autre / les passants / ont trop de pas
Encore la ville qui se propage. Encore.
Faudra-t-il
rompre le cercle /
pour atteindre
le cœur des choses ?
J’ai franchi
le mur du soi.

La volonté comme représentation, ce pourrait être cet arbre qui s’enracine dans la nuit, et que les rafales de vent rendent plus robuste, face aux jours de tornades.
La ville s’éclaire dans nos pensées, lorsque nous sommes loin de la ville. Et la raison de vivre mûrit, loin du chemin.
J’ai connu un homme qui cherchait une source, un seau à chaque main. Il tournait, là-haut, dans la montagne ; et la soif l’étreignait, comme son ombre. Anéanti, il s’assit sur une roche, qui masquait l’entrée d’un puits. Il mourut ainsi, sans connaître le centre.
Regardez cette ville, elle tourne autour de quoi ?
Et qui, se retourne ?
Qui, tourbillonne – pour, qui ?

Daniel LEDUC

samedi 16 août 2008

GESTES DU JOUR (19)


L’étendue de la ville rejoint les temps dus aux frontières.
L’homme – sans rive, sans âge, et sans papiers – traverse encore les rues comme autant de frontières. Il se cache derrière son visage, comme se cachetterait une enveloppe sans mémoire, timbrée par la seule flamme du vide. Que chercher lorsqu’on tente ? Traqué par le pouvoir ?
L’homme sans rive tangue encore. Tandis qu’affluent les vagues. Que les filets se lancent. À l’assaut de l’espoir, l’homme
roule encore.
Son horizon chancelle, la ville.
Rejoins
ce que tu danses.

À la terrasse des cafés, l’aventure passe par les mots ; par le regard aussi. À la terrasse le monde, façonné dans les gorges ; dans les yeux de l’ailleurs.
Que ne t’ai-je rencontrée contre une table ronde sur un trottoir mouillé ?
Une terrasse, la ville, où s’érigent tant les vies d'aplomb, que les vies terrassées.
Y a-t-il du murmure dans le capharnaüm ? La vie n’est-elle qu’une base sans fondement ; qu’un fondement sans base ?
J’aurais pu t’offrir un verre au contenu translucide.
Boire tes mots, comme une cascatelle
sur l’aube. J’aurais pu / la vie / j’aurais pu.

Dans le regard de l’autre, toujours des rues défilent où l’on aimerait se perdre, pour trouver quelle énigme ?
La ville suinte du travail des Hommes ; elle se perpétue par les gestes accomplis ; par ceux qui se tracèrent sans jamais se donner ; par le moindre mouvement, sans la moindre amplitude ; et par ceux qui s’exclament, les gestes qui gesticulent…
La ville est un tracé. Le passant, une courbe, cintrée de trajectoires. La ville est une
esquisse.
Et le regard de l’autre, toujours, défile dans nos pensées.
« Peut-on se re-connaître ? », questionne un quidam. « Je ne suis pas personne, puisque je suis personne. »
La ville s’étend
par delà ses frontières.
Territoire-mouvance
indéfini-
ment
dénombré
d’existence – la vi
lle.

Daniel LEDUC

vendredi 15 août 2008

GESTES DU JOUR (18)


Que l’automobile crée des transports terrestres, tandis que le corps se meut en des transports sensuels…la ville crisse.
Il n’y a de permanent que l’instinct, sur sa voie sensuelle ; d’invariable que l’écho, qui demeure en lui-même.
Je lis les arguments publicitaires comme on déchire le ciel après l’orage. Seule, une pluie de lettres n’abreuve pas le désir. Je lis ce qu’il faut oublier. L’essentiel se consulte.
La ville crisse…
Nous passons notre temps
à écoper le jour.

La paix, coquille d’œuf de la guerre, peut éclater par un coup de tonnerre / engendrement du calme, avant l’éclat de voix.
Bien des villes ont été bombardées ; les plaies sont-elles encore ouvertes ? Le temps suinte, sûrement, sur nos blessures…
La ville est un bandeau, qui flotte, et le passé ?
Bien des villes ont été bombardées.
Je n’aurai pas connu les trous qui percent dans la mémoire, pas connu les trous d’obus, ni ceux qui déracinent – à moins que je sois grignoté par l’oubli, pourfendu de bas en haut par une échelle, dont les barreaux, séquestrent…
La ville grimpe
jusqu’à l’é-
tendue.
Son sommeil
n’est pas la nuit :
mais le retrait
du jour.

Il y a des guerres paisibles, et des paix guerroyantes, disais-tu, mes tranchées sont des ruines, là-bas, sur la ville…
Le clochard n’a plus de nom. Sans domicile et sans nom. Le clochard n’a plus d’étoiles. C’est un reflet, sur nos consciences. Une averse, sur le trottoir. Une escalade, après la chute.
La ville se dévêt face aux miséreux ; elle abandonne ses oripeaux, éternuement dans les gorges profondes.
Demain est une autre pensée ; ou bien demain expire !
Et se perdent les chemins…

Daniel LEDUC

GESTES DU JOUR (17)


Les ruines, prolongement de la mémoire, se reconstituent par le manque. Chaque ville, chaque vie, chaque passé a ses ruines. Il en demeure pas moins… les vestiges parlent, du plus loin de l’absence.
On se construit sur des bases, mais aussi sur des creux ; sur du ferme, mais aussi du mobile ; du meuble, où se rencognent les symboles et les mythes ; de l’instable, dont découlent les flots et les laves, qui nous charrient vers le possible.
La mouvance crée le geste –
la geste
du jour présent.

Comme le tonnerre, “l’arbre est subversif”(1) – mais son temps s’enracine dans le ciel ; et les autres natures le poussent à la confrontation, au sursaut perpétuel.
Que la ville est des arbres, cela permet la révolte du corps, et l’envol des pensées.
Que l’on en plante un, et le désir s’accroît. Qu’un seul se déracine, et le courage s’estompe.
La ville est une branche sur laquelle vibrent les pistons et les rouages de la société. Forte ou fragile, selon qu’elle résiste ou qu’elle ploie ; la ville s’ouvre, lorsqu’elle bourgeonne.
Et je respire, comme la foudre.
Je me plante

où les oiseaux sont rois.

Le piéton constamment traverse. Lui-même est traversé par des franchissements de pensées ; et son pas prend l’allure d’un trot qui regimbe.
Le piéton voit passer la rue ; ses traces d’essence, ses effluves de gasoil ; ses cris perpétuels dans le crissement des villes ; le piéton voit passer ; tout ce qui piétine.
Et la marche, s’emboîte avec le pas ; la durée, circule avec le temps ; l'intervalle, se débride avec l’espace ; le champ s’ouvre, avec les yeux.
Je n’aurai de vraie connaissance, que celle qui me porte,
celle
qui se soulève.
Les pas
s’en vont
au soir.
Et je m’en vais…
cueillir.

Daniel LEDUC

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(1) Paul Rebeyrolle.

mardi 12 août 2008

GESTES DU JOUR (16)


Dans la ville, quelques musiciens tentent de tempérer la monotonie des sons et des formes. Fréquemment sont-ils chassés comme de vulgaires insectes.
Les putains, elles aussi sont traquées ; de même que les clochards célestes ; les SDF, les sans-papiers…
Trop souvent la ville ressemble à une nappe, nette, trop bien repassée – la vie – ne doit faire aucun pli !
Le journal, froissé par les lourdeurs du monde, me tombe des mains. Je ramasse ce qu’il y a de souffrance, le dépose sur un banc, à côté d’une jeune guitariste.
S’élève un blues, qui donne aux murs, un passage vers l’espoir…

«Que sait-on de notre ignorance ?», se demande un piéton, bousculant un aveugle. «Que voit-on de transparent ?».
Je pense à cette matière sombre qui constituerait une part non négligeable de l’Univers, à ces éléments non-baryoniques, aux multiples dimensions (1) -- et le vent qui feule contre mes persiennes devient un langage crypté – et la nuit n’a d’obscur que son nom – et tout ce qui pense [ici] ignore tout ce qui pense [ailleurs] – et l’océan n’est qu’une larme (de rire ou de pleurs) d’où émerge l’étrange vague du temps – soupir sans souffle…
La ville ne me dit rien, qui sache se faire entendre.
La ville a pour nature, de n’en avoir point.

L’enfant observe le fleuve qui scinde la ville en deux fractions égales. Il ne sait quelle rive choisir. L’une s’apparente à une usine, à une fourmilière d’où émergent dix mille percussions / voix outils / retentissant comme cymbales et tambours. L’autre rive murmure ; elle murmure autant qu’il est possible ; quasiment imperceptible, ce murmure ; peut-être des pensées ; des grattements infinis ; des questions sans réponses, à coup sûr ; de la pluie ; dans un ciel rougeoyant…
“Les deux hémisphères cérébraux sont deux structures quasiment symétriques, reliées entre elles par des fibres nerveuses appelées commissures.”
Entre mes lèvres, un murmure retient l’enfance ; peu à peu, amplification du sens ; et le son se répercute, dans un bruit de cymbales.

Daniel LEDUC

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(1) Théorie des cordes.

lundi 11 août 2008

GESTES DU JOUR (15)


De la chair, il t’en faut dans les mots
pour agréger la ville. De la viande, dans tes mots,
gorgée de lard
qui barde. De la
venaison, au fumet si sauvage,
qu’elle s’embrase
dans le gosier.
Tu écris, comme on fume
la terre. Le cerf brame
dans tes marges. Et le hêtre blanchit,
enraciné dans la peau
de tes phrases ; la ville
suinte
de sève.
Les femmes
sont nos feux verts.

L’insomniaque qui dort en chacun de nous
construit des rêves qui ne tiennent ni debout
ni couché au fond d’un puits.
Il est des pensées nocturnes plus profondes
que les gorges du monde ;
des pensées sur la vie
qui défile(nt) dans les villes
occultes. Et le guetteur
à l’ombre des synapses
lance vers le futur
des érections
de châteaux
de cartes.
Ce qui s’écrit
sur la page
s’écrie d’abord
dans les circonvolutions
de l’obscur.
La ville – paraphe – chaque rue –
chaque – émotion – pas-
sagère –

La ville n’a pas d’architecture, ; elle a des strates de mémoires que compulsent les architectes dans l’observation ou dans l’oubli ; la ville est un brouillon qui s’organise selon les lois et les principes ; les artistes, tant bien que mal, distillent ; et la ville, dense, ne se découvre qu’en cette brumeuse chorégraphie.
J’arpente, c’est une pensée qui marche ; j’arpente les caves et les soupentes, les trottoirs et les toits. C’est une pensée qui pousse, je sillonne jusqu’au champ de vision, là où la limite s’égare, où elle n’est plus un concept, mais une vague qui échoue. Je sillonne dans les ruelles, je parcours ma vie, mes livres ; et je fréquente.
Que la ville a d’angles à mesurer ; d’azimuts et de latitudes ; de longitudes et de diamètres !
Que la ville est encerclée – par elle-même !
Que je m’étonne de l’apparence
quand elle soulève
tant de poussière !
Que je me dé-
concerte !

Daniel LEDUC


GESTES DU JOUR (14)


Et que dire de l’Onyx ; des pierres de songe
auxquelles on se confronte
chaque nuit
dans l’opacité du sommeil ?
Et qu’entendre du Zircon
dans sa mémoire terrestre,
magmatique et doyenne ?
Je pense la ville
comme autant de désirs
sur un corps de pierre.
En chaque homme,
des rues s’insinuent
qui conduisent au crépuscule.
Précieuse serait la ville
ceinte
d’espaces
sans distance
ni frontière.
La ville –
éven-
tuelle.

Le rougeoiement du ciel, sur cette ville éclatante et furtive (ici ne passent que des regards fuyants) ; les râles et pétarades sur les chaussées conduisant au soleil (moins de pesanteur, semble-t-il, vers le Sud) ; les discours, ensablés déjà, aux terrasses des cafés qui percolent…
J’ai souvenir de nuits à écrêter le monde ; « table rase », disait-on, « pour engager la vie » ; souvenir de nuits, à émonder le monde…
Que circule cette ville, comme circule notre sang.
La nuitée est tranquille, là où passent
les passants…

La ville, ne respire qu’avec le vent ; et combien les murs s’asphyxient – souffle coupé – par le hachoir – des vrombissements. Comme une peau, les trottoirs se rassurent – contre la tendre paume – de la nuit.
J’ai caressé des femmes, aux rivages indomptables, et je me suis levé, pour crier « libertés » !
La ville, ne respire, que par, autonomie. Elle s’allonge auprès de la campagne, mais façonne, nuit et jour. Son repos lui-même, est un travail d’indépendance.
J’ai caressé des femmes, rebelles ; qui m’ont appris le feu ; sa chaleur, son élan ; sa vérité – femelle.
La ville ne dort, que d’une oreille. De l’autre, elle perçoit l’océan Qui en chacun. Respire.

Daniel LEDUC

samedi 9 août 2008

GESTES DU JOUR (13)


Entre iris et rétine, j’ai la ville dans les yeux,
aux clartés insomniaques, j’ai la ville dans les yeux.
Les femmes accomplissent
le soulèvement du jour,
ainsi qu’on soulève
la question.
Le temps
n’est plus à perdre,
mais à changer de ciel.
Par delà les contours,
c’est toujours
la ville
qui opère – dans les mémoires – toujours.
Le temps est une ville.
Dans un regard – lointain
Le temps

Apprenez à connaître ce qu’il y a d’erreurs dans vos doutes. Apprenez donc les multiplications de vos vertiges.
Je sais conter mon enfance
auprès des arbres.
Ce que j’ai vécu,
la ville s’en souvient-elle ?
Et les visages croisés,
où vont-ils aujourd’hui ?
Dans le secret des livres,
la ville compte ses pierres,
une à une,
histoire d’assimiler ses heurs
et ses malheurs,
une à une,
compte ses pierres.
Le secret,
c’est dans le nombre –
zénith et nadir
abolissant les ombres
peut-être. y a-t-il
à raconter l’enfance,
alors que le soir
tombe
sur les vagues
et les flambeaux ?
Agitez donc
une lanterne :
la vie / tourbillonnera – ballerine !

LA DÉCHIRURE DE FEU CHAUFFÉE
avec des ciels à travers le monde.
Paul CELAN
L’éraflure sur ton nom, camarade,
braises encore vives
derrière ton front ;
te voilà sur la terre, étranger
comme novice ; quand même
tu connaîtrais
les formules et les nombres.
Le “Pouvoir” t’exclut ;
enclin
à décliner
lui-même,
il ne te connaît point.
Peu importe qui tu es
pour celui qui expulse…
Il faudra bien, un jour,
que soient jetés la haine
et ses contours fétides ;
que s’extirpe
la Crapule
qui sévit aux “Sommets” !

Daniel LEDUC

vendredi 8 août 2008

GESTES DU JOUR (12)


La réalité est abstraite”(1) ; et la ville démontre l’apparence des pierres.
Nous sommes dans un jardin de béton
où les fleurs sont des lanternes.
Les arbres occultent ici
la chanson incendiaire des oiseaux.
Regardez donc
fleurir
les graffitis.
Comme les lettres forment les chiffres – à dénombrer chaque instant…
La mémoire ne nous partage-t-elle pas ? Quartiers
d’une même orange.

La nature surprend la ville dans ses entrelacements. Toujours, quelques “mauvaises herbes” seront là, affleurant du bitume.
Je lis dans les pensées des miroirs, lesquels ne réfléchissent que nos propres échos. Réverbérante, la réflexion qui se confronte ; comme se mesure chaque mot, sur chaque ligne, de chaque livre.
La ville est encore à écrire ;
nous ne finirons
de calligraphier
son nom
.

Le lierre pourrait creuser la pierre, s’immiscer dans les anfractuosités du mur, dire combien la vie s’agrippe, quel que soit son destin. Ses tiges, au milieu des entrenoeuds, pourraient se cramponner, à la façade du jour. Et de ses fleurs pourraient naître des baies, dont les grappes défieraient les couleurs de la ville. Le lierre pourrait grimper ; tutoyer le soleil.
Que faut-il donc, pour aller plus haut ? Sinon regarder les nuages ?
Je n’ai de ciel,
que la couleur du vent.

Par le lacis de la vieille ville, les rues sont un cerveau. Circonvolutions / synapses.
Axones / neurones.
J’ai le désir de marcher à perte,
dans les ruelles
aux caniveaux errants ;
imaginer ces milliards de pas
qui ont tracé leur siècle
(et nous descendrons
encore
des squelettes de la terre) ;
marcher dans les empreintes,
pour emprunter les voies…
Il n’y a pas de repère non,
hormis l’ombre qui croît.
Le siècle
est un mystère.

Daniel LEDUC
www.harmattan.fr/daniel-leduc

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(1) Albert Jacquard.


mercredi 6 août 2008

GESTES DU JOUR (11)


Partout dans la ville, les toits couvrent l’alliance. Les accords et les pactes cimentent, ce qui se nomme -- figures / objets / êtres-et-choses -- dans la continuité du translucide et de l’opaque.
Lorsque le doute me rejoint, lorsqu’il fore dans mes os, que la moiteur emplit ma bouche, il me reste à lâcher les derniers mots : qu’ils s’en prennent à l’inconscient du lecteur – comme on s’en prend aux autres, dans sa propre colère.
Qu’il y ait ainsi une incompréhension complice, un libre attachement, une empathie qui confine au calque, à la négation du calque.
La ville est ce que l’on retient de ses faces, de ses revers ; de ses doublures, et de ses actes.
Il en va de même
pour la vie.

Le passé se retient, leçon mal perçue, par l’enchevêtrement des pierres ; par ces ruines qu’escamote le présent ; par d’antiques graffitis suintant dans la terre ; par cet halètement de la ville, sourde respiration du temps, qui nous métamorphose.
Je n’ai rien dit de ce qui passe ; seulement ébauché un remous, dans les clapotis de l’instant. Je n’ai rien dit des heures qui tassent, ni des contours qui s'estompent, des pas perdus au creux des routes, des trottoirs secoués par le mouvement des foules ; je n’ai rien dit de ce qui file, loin, derrière nous.
La ville se branle, contre / l’inéluctable.

La force qui sous-tend la ville, c’est ce bourdonnement qui tangue dans les cafés. On y refait le monde, toujours, comme Sisyphe hissant son rocher ; on y refait les sommets et les bases, les assises et les toits. On y refait le portrait du monde.
Et je m’assieds à cette table, maculée de mots, sur laquelle j’ai tant écrit. Et j’écoute les conversations qui se bousculent ; je ramasse les miettes de vie, chassées des verres et des soucoupes, par le souffle des murmures.
Je traque ce qui meurt et demeure.
La ville
n’a pas le temps.

Daniel LEDUC

mardi 5 août 2008

GESTES DU JOUR (10)


Voracité de la mémoire : le jardin est dans mes yeux, pelouse aux pieds des arbres ; et des fruits encore surs se suspendent autour de moi ;
c’est la saison juvénile, celle des corps imaginaires, des splendeurs élancées ;
les chimères s’incarnent, et les chairs sont illusoires ; les mots hantent, du cellier aux combles, l’ivresse des jours
émoustillés…
Voracité de la ville, qui chaque nuit, digère nos heurts – nos blessures – nos paix conquises – stigmatisées.
Je franchis le Rubicon, à cet âge vertical,
et foudroyé – comme on franchit
le seuil,
les lèvres des femmes,
avant même –
l'épuisement --
du feu.

Dans le sommeil de la ville s’exposent tous les futurs possibles ; chantiers, travaux publics, aménagements urbains ; ce sont les pensées qui transformeront les perspectives, accordant à la ville un avenir clément ou pas.
Je respire ce que l’air deviendra, ce que l’eau filtrera, ce que la terre cimentera d’alluvions, de découvertes – d’imaginaires ignés, ou de réels transis. Je hume ces pensées, capiteuses ou non, sachant ce qu’il en est d’étreindre des perspectives, d’inhaler des perceptions remplies d’éclairs, de brumes. J'envisage – ce qu’il faut – dévisager.
La ville est un seau qui se vide lorsqu’il se plaint : qui se remplit de mille percées, de dix mille passages – de trouées dans l’arborescence des constructions. Je sais cela, comme on vertige.

Les rues m’apprennent à emmener mes pas, là où le soleil se confond avec la pluie. Ainsi n’y a-t-il plus de frontières, entre ce qui éclaire et ce qui sombre.
L’Homme qui marche, le voici chaussé de guêtres et de sabots, de mocassins et de mules ; de tout ; et de rien.
La ville s’empare des éclairages. Les fenêtres, derrière elles ; les rideaux, derrière eux ; il y a comme des tremblements de clarté, des scintillements obscurs (on dirait une parole), des lueurs d’espoir pour ce qui se ferme, pour ceux qui s’enferment… il y a du rayonnant jusque dans le noir.
J’ai cette palpation des contours qui donne confiance dans les ombres – pour ce qu’elles sont preuve de lumière.

Daniel LEDUC

lundi 4 août 2008

GESTES DU JOUR (9)


Remembrance, je me souviens de toi qui passais sur mes pas ;
je me souviens de l’ombre que faisaient tes silences ;
je me souviens du mot que tu ne prononças.
La ville, serait-elle un courant d’air ?
Une illusion permanente de ruptures ?
Un chassé-croisé de regards amblyopes ?
Un fort roulis dans un jour sans sommeil ?
Je me souviens de toi.
La foule, cet animal, traque le temps, qui se détraque ; la foule, emprisonnée dans le mouvement ; je l’entraîne dans mes pensées.
Et le soir n’est qu’un renard, qui nous attend.
J’avais perdu quelque chose sans importance, c’était un jour de pluie. Mes vieux souliers glissaient sur le bitume, on a tort de quitter sa mémoire. Je t’ai vu là perdu, la main comme une sébile, à marcher immobile. Je t’ai offert des mots, un café sans sucre, des mots, et d’autres nourritures.
Tu venais de si loin
.
La ville absorbe toutes les houles,
débarque
les équipages.
Les jours s’empilent, tu le sais bien.
Il y avait
de la pluie,
comme un grain
de beauté
sur la ville.
C’était, il y a si loin,
de toi,
je me souviens
.

Le temps fuit de la dégoulinante, le temps s’épanche.
Je lis Kerouac, et trace la route. Les villes se sont dissoutes, les artères corrodées.
J’entends Woodie Guthrie chanter Liza Jane.
Le temps s’emmêle, comme disent les matelots, le temps s’en mêle. Et je regarde filer la laine ; mes souvenirs ; mes airs d’antan.
« La ville, quand on la quitte, n’est qu’un soupir », disait un bourlingueur – dont j’ai venté le nom.

Beauté ; c’est dans l’espérance du monde que la beauté s’incarne.
Entre toi et l’ailleurs, je perçois ce qu’il y a de beau, dans la distance et la mouvance des formes ; ta peau reflète le futur dans son passé de chair ; tu es la femme qui trans-figure.
La ville domine lorsqu’elle est belle.
J’ai croisé des statues à la beauté de marbre. Je leur ai dit combien le temps n’existe pas. Mes rides, alors, se sont plissées d’effroi.
La ville souvent décrépit, par une violente architecture.
Je me promène dans la conscience de l’aube.
La ville s’ébruite, loin du silence qui parle.

De la beauté surgissent nos flammes,
au débotté, surgissent
nos larmes
sur la terre
déterrée.
Je n’ai connu la guerre
que par le souffle des images :
vision déjà suffocante.
Alors, qu'en est-il du palpable ?
Le réel appartient au lieu
dans le brusque –
qui guerroie.

Daniel LEDUC


dimanche 3 août 2008

GESTES DU JOUR (8)


Certaines femmes ont tellement de tendresse qu’elles donnent sans le savoir du sens à l’origine du monde.
Elles font vibrer les feuilles sur lesquelles s’inscrivent le printemps, et son Janus, l’automne.
Elles nous protègent des mauvaises directions ; nous insufflent, les forts courants d’air.
Ces femmes, prolongement de nos gestes. Elles nous propagent, dans les ondes.
Je sais bien qu’il y a des lendemains qui tombent ; mais dans chaque chute il y a du rebond, de la renaissance qui se prépare, des lendemains plus élastiques, des escalades possibles.
Et le regard d’une femme peut provoquer l’élan nécessaire à la suite.
Je sais bien que les mots s’abîment à l’air du temps. Mais la voix, la tonalité d’une femme a le pouvoir de ravauder les phrases ; et la parole peut alors se lancer à nouveau, à l’assaut des cataractes et des vagues. Je sais bien.
Certaines femmes lancent leur filet, comme on lance un cri d’espoir.

La ville, s’étendra-t-elle, jusqu’à la ville ?
Les chemins de terre, s’enterreront-ils, sous le bitume ?
Les haies, deviendront-elles, des parapets ?
Et le chant des feuilles, sera-t-il recouvert, par le klaxon du vent ?
Je vais à la rencontre de qui fourmille et de qui tremble. Du flageolement des pas. Des pensées vacillantes.
Les certitudes nous achèvent, bien plus que de raison ; et nous mourons de ne plus appréhender ce qui frissonne – ce qui chavire dans le regard du temps.
Je vais, au fond de mon jardin, accroître ce tas de feuilles, qui fera l’humus des jours prochains. Brûler toutes les brindilles. Planter les mauvaises herbes. Déraciner le vent.
Je vais me tordre, ainsi qu’une vielle branche, dans le rire du destin.

Mais le destin n’est qu’une pute dans un rêve cauchemardé. On la trousse cette catin, et l’on se fait baiser…
Je m’en vais à la recherche du peu ; du brin de la pointe du soupçon ; d’un nuage de lait, sur un ciel de café ; d’une rosée suspendue, au bord des saules pleureurs ; de la fente, par où, vivre encore, un temps. Ne serait-ce qu’une pause. Qu’un silence.

Mais le silence lui-même s’interpose aux silences. Et la paix n’est qu’un revers du tumulte qui gronde.
Là-bas, par delà les frontières, le chaos gagne ; la mort triomphe des appendices et des scolioses ; de la chair qui se dégrafe telle une gourgandine, ivre d’écume, de sperme, de cruors et de boyaux.
Je n’ai, dans ma besace, que quelques mots qui traînent ; oubliés des discours et des formules piquantes. Quelques mots sans vergogne, à faire rougir le fer, et pâlir la farine.
Je les jette aux galeux, aux bien-pensants qui graillent, ces mots orduriers ; qu’ils enflent leur panse, à faire péter leurs entrailles, dans un souffle raillant.
Seul le silence –
sait combien la vie –
est chair – à canon !

Daniel LEDUC


samedi 2 août 2008

GESTES DU JOUR (7)


Pierre béton plâtre, où la ville s’appartient-elle, sinon dans le regard ? Les constructions nous couvent, les voies circulent dans nos pensées. Nous sommes de la chaleur qui monte des boyaux et des cryptes, des métros et des caves. De la moiteur, entre les jours, et les nuits sans escales. De la flamme qui vertige, que le souffle avive et strangule en même temps. Nous sommes du plâtre et du béton, du fer de la poussière, du silence de l’écho, du rien et du quand même. Peut être –
Je soulève
mes propres
questions /
que viens-tu faire dans ces mots
qu’y a-t-il de sang dans ton encre
pourquoi traverser les pages
les tourner comme sa langue
cette fois sans qu’elle bouge
pourquoi
s’éterniser
dans l’étincelle ?
Que veux-tu donc
qui soit exprimé –


Toi mon frère, qui viens de quitter la surface ; pour ensemencer la terre, encore ;
toi qui traces ton île, par tes lèvres ouvertes ;
je te serre contre mes propres mots.
La mort, ce n’est pas l’heure,
mais la houle.
Un leurre
qui nous sait part.
(Pour Aimé Césaire, ce vendredi triste, du 18 avril 2008)

Le seuil s’affranchit des frontières ; il est ce qu’il entre ; ce qu’il sort du ventre, et de la nuit.
Je t’ai vue naître au seuil du jour, toi ma pensée plus qu’érotique ; bandaison dont les fruits sont des grappes, qui s’agrippent aux cuisses de la vigne ; de cette vie qui mouille aux rives de ta peau ; nénuphar seras-tu, lorsque éjaculeront mes traits ; saillies pour te fendre, au plus profond du cœur ; là où tu sécrètes, ce qui te clandestine ; pensée aussi secrète, que féconder la fleur ; dans l’antre du désir.
Le seuil irrigue les plaines ; et l’eau franchit le pas ; déversant sa fougue ; en de grandes enjambées ; aux confins des limites.
Je ne limite rien. Ni le bord, ni le bond. Ni même le bout des choses. Je ne l’imite en rien, cette fin qui s’agite. Sans fin. Je ne lime ni les ongles ni les éclats du bois ; les échardes qui pointent, au bout de l’horizon ; je ne les extrais point, du futur qu’est mon front ; ni de la main – qui désigne – le terme – du chemin. Je ne l’imite en rien, cette parole, qui va. Cette parole, qui vient…
Et l’effet de seuil induit la saturation des sens ; qu’il y ait des orgasmes en plateau lorsque le corps du langage atteint le point limite ; ce point sublime dans les gorges du Verdon ; ce point suprême dans la gorge du poète, qui “communique l’incommunicable, réalise l’impossible, explore l’interdit” et “associe des idées lointaines et justes”(1), “beauté de l’étincelle, obtenue”.
Il y a des éclairs qui me dérivent, d’autres qui m’enflamment.
Je n’ai, pour seule reconnaissance, qu’un balbutiement de mots écharpés.
C’est par le seuil que j’atteins la limite, démesurée, d’une ombre.
C’est par
le seuil.

Daniel LEDUC

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(1) André Breton


vendredi 1 août 2008

GESTES DU JOUR (6)


Réverbère / sous ta clarté la vie paraît petite / halo dans la nuit cicatrice / tous les soleils s’articulent comme des mots / et les rues sont désertes / avec leurs ombres pleines / mettre bas / couver chaque instant / qu’il jaillisse / tenez bon / malgré les lueurs qui vacillent / tenez / grâce aux bonds / que le cœur cisèle / dans la poitrine / le plus petit éclat / est un éclair de braises / la vie / nous réverbère / aussi -----)
Je me lèverai / afin d’écouter les lueurs de l’aube / avant que la ville ne s’éveille / que le passé remonte à la fenêtre / que les portes s’ouvrent / sur l’envolée de la poussière / je me / lèverai / par-dessus ton épaule /
tes lèvres / s’ouvriront aussi / chenal / entre qui murmure / et qui parle /
loin / des encombrements du jour / un ruisseau / traversera / nos ombres /
petites / sous le halo / du soleil en persiennes
/
La journée sera fraîche
au bord des latitudes,
annonce
la radio.

L’étranger : « regarde cette étoile, que te dit-elle ? Rien ! Et ce rien, c’est l’imagination qui le soulève. »
L’astronome : « Elle est trop proche, l’étoile, pour qu’on puisse la connaître. De loin, la perspective est bien meilleure. »
L’amateur : « Je n’en possède pas de semblable. C’est une étoile unique, peut-être même, rêvée. »
Le philosophe : « Ne s’observe que ce qui se construit ; ne s’invente que ce qui participe. »
Le SDF : « Dites-moi, quel goût a-t-elle ? »

Si je parle de ton corps, je parle des sables, des vents et des ruisseaux. Il est une île que j’aborde dans le secret des remous et des ondes – j’y perçois ce que la nature recèle, par ses courbes tissées. Ton corps, houle sang circule, oscillation – alternance des courants inouïs – baiser de la terre – divagante.
La ville est encore là, qui nous peint.
Nous offrons nos pigments derrière lesquels le medium transparaît, lucide. Et nous voilà des peaux, sous le regard des autres. Et nos vies slaloment
entre le
semblant
et d’autres
vérités.
Ton corps,
m’accordera-t-il, du temps ?

Daniel LEDUC

GESTES DU JOUR (5)


Les pots de fleurs sur les balcons sont faits pour s’écraser sur les trottoirs. Ceux qui ne répondent à une telle injonction ne méritent pas leur nom ; pas plus qu’ils ne méritent d’être vus, épanouis.
Ainsi vont les choses.
Les lois de la pesanteur et de l’attraction terrestre sont là pour démontrer qu’on ne saurait échapper à la chute – à moins de se soumettre au ballonnement des croyances et autres pétarades.
On ne peut que descendre lorsqu’on domine, les choses sont ainsi. C’est pourquoi le pouvoir est une feuille qui jaunit. Que l’automne attend, sur la terre, fraîchement labourée…

Les bruits de la ville font écho aux bourdonnements de mes pensées.
C’est un flux incessant qui traverse les vitres – comme traverse le sens, par les synapses, par les nerfs tendus vers l’existence.
Les bruits fatiguent et stimulent, essuyant leurs pas sur les tympans.
Des voitures qui vrombissent, aux passants qui coucouannent ; des trains qui chuintent, aux clochers qui blatèrent ; des enfants qui piaillent, aux gens d’armes qui beuglent ; des motos qui craquètent, aux vélos qui pupulent ; du causement des commères, au cacardement des bourgeois ; du couinement des amants, au peupleutement des portables ; du nasillement des racistes, au chicotement des notables ; les bruits fatiguent les structures de la ville ; et celles, gringotantes, de nos pensées sauvages. Les bruits
fatiguent
le temps.
J’écoute…
le silence…
des nuages…

Au plus haut des tours, naissance du vertige.
Des antennes captent
les fourmillements du monde.
Je me relie
aux paroles qui dénouent
.
Des satellites
propagent des secondes
comme s’il s’agissait
de quadriller le temps – que
rien n’échappe, hormis
l’essence
et l’ossature des choses ; que rien
ne se décante,
vraiment.
Les ondes, elles me submergent ;
j’entends échapper à leur champ
.
Au plus haut, sont les étoiles ;
et par delà, l’incoercible
résonance
[ ]

Les gratte-ciel, eux aussi, s’éternisent.
J’empreinte un ascenseur
qui ne monte ni descend :
force de l’immanence
.
Les séquoias géants, eux aussi, grattent le ciel.
Épicéas, Douglas, Araucarias, Eucalyptus
tutoient les sommets
du vivant. Je grimpe
sur des branches
dont les feuilles se noircissent
d’encre
et de volume.
Eux aussi, nous grandissent :
livres,
étendus
sur nos vies –
naines blanches…

Daniel LEDUC