lundi 30 juin 2008

LE PEIGNE (prose)


Quand il glisse sur les cheveux, le peigne serre les dents, orgueil et volupté. C’est lui qui trace les sillons sur la tête pensante ; lui qui dessine le casque ou le bonnet, ou toute autre coiffure ; lui qui remet à leur place tous ces rebelles poilus, ceux qui geignent pour s’être fait tirer dessus. Voilà pourquoi même vieux, édenté, bégayant, il crâne, le peigne — regardant de haut les beaux ciseaux pointus. Voilà pourquoi il fait la noce avec la brosse — avant que le rasoir du temps ne fasse place nette sur les rêves et les pensées. Sur le rêve de la pensée. Et sur les mots, scions !

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Se coiffer, cela remet les cheveux en place, autant que les idées. Si quelque épi se fait rebelle, ne pas tenter de le dresser autrement qu’il l’est déjà. Cela pourrait nier le Désordre, la Confusion des choses ; l’Origine et le Chaos.
Lorsqu’on se peigne, l’on caresse la peau, et toutes ces ondes qui s’activent, ces lueurs et pleins soleils de nos pensées. Acte anodin peut-être, mais témoignage prégnant de l’estime que l’on se porte. Car négliger sa chevelure reviendrait à déprécier ce qui foisonne en soi. Est-ce aussi simple que ça ? Le coiffeur lui-même ne le sait pas.
Quant au peigne, il tente de rendre parallèle ce qui est courbe ; et courbe, ce qui est droit.

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La main dans les cheveux, c’est comme un peigne de désir qui frôle le cerveau. Sensualité des doigts sur le dôme de la tête, là où s’abrite la représentation (théâtrale) du monde.
Le crâne, c’est la planète qui gravite autour des formes, contenant tous les mystères en une même latitude. Les questions sont là, et les réponses sont là — dans un ordre aléatoire, un spasme stochastique. Le crâne, une étoile qui s’effondre sur elle-même ; qui se régénère, sans cesse, par ses trous noirs. C’est l’incertitude qui fait avancer ; les courants contraires. Ainsi la nuit s’éclaire-t-elle de milliards de lucioles, comme autant de neurones et de synapses entremêlées.
Le peigne effleure la pensée ; son ombre. Clair-obscur dans la clarté.

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Il faut qu’il peigne les paysages de sa tête. Il faut qu’il se peigne dans la figure du monde. Il faut qu’il s’imprègne de l’épaisseur des choses. L’artiste, il faut qu’il peigne.
Il faut qu’il brosse sa toile, avec, ce qui échappe. Qu’il désépaississe les bruits et les fureurs. Qu’il rase le superflu. L’artiste, il faut qu’il gratte.
Qu’il enflamme tous ces vents qui décoiffent.
Qu’il mette le feu à la mèche du sens.
Sans qui la vie n’aurait plus de couleurs ?
L’artiste. Il faut qu’il nous démêle. Tout cela.

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Croire que les chauves ne pratiquent pas le peigne serait croire que le temps n’effleure pas l’absence.
Que le peigne se casse les dents sur un crâne, et voilà la preuve de la dureté de l’existence – toute autre démonstration n’étant que sophisme !
Les chauves apprécient le peigne en ce qu’il est un objet de désir, de convoitise, de réminiscence… symbole de perte… démêloir de sens…
Quand on sait que la vie ne tient qu’à un cheveu, celui (celle) qui n’en a plus, a teint par essence une sorte d’éternité : rien ne peut plus l’atteindre, sinon la pluie qui ruisselle sur son cœur.
Le chauve, est comme un peigne sans dents.


Daniel LEDUC

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