mardi 4 novembre 2008

Les chemins vont et viennent


Les chemins vont et viennent sous mes pas,
et des traces de suites laissent leurs empreintes
sur les murs de ma mémoire offerte aux ombres
qui se déversent d’un ciel sans âge et sans limites.
Je suis né à mi-hauteur d’un siècle
dont les persiennes claquent encore aux vents
comme autant de focs et de haubans
geignant de cette solitude des Hommes,
de ce fracas des corps contre la cage du temps.
L’ascenseur qui nous élève comme nous grandit le soir
l’ascenseur nous vrille dans cette spirale
qu’est l’apparence des heures sur le cadran inox ;
nous voilà cette aiguille qui perce et qui domine
tout en se pliant sous le poids du gel
dont l’hiver a saupoudré tous nos printemps.
Je ne meurs qu’une fois dans mon haleine
lorsque mes mots s’essoufflent sous le sang
que des guerriers ont projeté comme des pierres.
Je ne meurs qu’en me disant. Mais je renais plus fort
chaque fois que mon mutisme chancelle
face aux pantomimes de ceux qui nous gouvernent.
Le pouvoir n’est qu’un verbe qui se voit au présent
et que d’aucuns conjuguent comme on jugule le vent.
Le pouvoir est ce fumet qui flambe de la cendre illusoire.
Trop longtemps j’ai marché sur des doutes
qui ressemblaient à des vertiges, trop longtemps.
Il y a parmi les aubes de ces flambeaux obscurs
qui font de la nature un ruissellement
sur la sécheresse du monde ; de ces percées,
au plus dur de l’existence, qui affleurent
donnant de la clarté aux mansardes les plus ternes ;
de ces bousculements sur l’inertie des jours ; de ces voiles
qui se déchirent, avant même d’être tissés ; il y a
de la suée sur l’aube, comme un travail fécond
qui draine les terres les moins fertiles, les espaces
les plus vastes au cœur… de ces interstices les plus brefs ;
il ya de la mesure, dans l’infini de l’aube.
Du pied, j’écarte les mottes de terre. J’avance en claudiquant.
Je reconnais les creux à ce qu’ils nous retiennent
dans la marche vers le soir. Je reconnais les ombres.
Et ma vie s’étire, en des branches, circonspectes…
Les oiseaux nous préviennent des heurts
avec le temps
. Qui parle de progrès lorsque meurent des enfants
par manque, loin du souci des ventres, bidonnants ?
Qui parle de l’humanité de l’homme, des portes qui s’ouvrent
sur ces contrées désertes croit-on, sur ces grincements de dents ?
Je relie sans cesse le regard et le livre, le contour
et la réfraction. Je relie, sur une paume tournée vers la mer –
de là où nous venons, sans cesse. Où nos corps se pensent,
agités par la marée du monde ; par le liquide amniotique,
pansés ; par toutes les eaux qui les composent, où nos corps
se dépensent. Je relie la fibre, et le fil qui nous retient
à peine. Les oiseaux s’inscrivent entre la terre et le ciel,
nous dévoilant la danse entre deux eaux
. Chaque être
est un oiseau, lorsque immensément de l’à-foison
il se délivre, abandonnant ce qui pèse sur le vide ;
de ses propres plumes goudronnées de fiel, se dépouillant –
volatile. Les oiseaux nous préviennent. Et nous volons vers
l’absurdité de nos propres cloisons. Nous volons
ce que la terre nous cède, à son corps défendant…
Dans mes pensées les arbres s’enracinent,
prégnante fluidité de sève, le bois s’articule dans les os ;
mes nerfs ne sont que fibres, tendues vers le faîte
où s’effacent les nuages ; le ciel est cette page
que l’univers feuillette infiniment ;
je me reconnais dans le fruit qui féconde…
Là-bas la ville, regardez comme elle bourdonne ;
comme ses pierres chuintent, saisies dans le ciment des jours ;
regardez ces vibrations, faites de la peau
et du regard des Hommes. La ville est un roulement – virevoltant.
Les oiseaux s’inoculent des distances, et nous frayons, fragiles
entre leurs chants
. Je reconnais la brise. C’est elle qui rompt
silence et lacune. Je reconnais la tourbe, sur ces plateaux brumeux,
imbibés de tant de siècles aux eaux – déracinées du ciel.
Plus loin la ville s’électrise, du mouvement perpétuel ; en son
sommeil, est une autre clarté. Sont d’autres moissons. Les oiseaux nous en
chantent
. Ce que les pneus briquent le bitume ! la ville s’écrase
sous la torpeur de ses propres frottements. Je reconnais
l’usure. L’espacement des vertiges. Les oiseaux portent
ce qu’abandonne la brise
. Je ne reconnais pas le gong
des cathédrales, ni celui des serments ; celui du tonnerre
sur les peuples migrants ; je ne reconnais pas les murs,
ni leurs pierres qui fractionnent ; césure, sépare-toi de ta coupe !
trop creuse pour être pleine. Je reconnais les friches,
ce qui peut y croître. Les oiseaux créent la graine
dont se nourrissent l'attente, et le désir, son frère
. La ville
mugit encore. Je reconnais son souffle… D’ailleurs la pierre
n’est-elle pas l’effluve de ce qui dure en s’émoussant ?
Ton corps allonge mes latitudes, oriente ma boussole, desserre mes étaux. J’emprunte la voie des navigations secrètes, où la carte ne saurait être ni tracé, ni territoire (tu te plonges dans des spasmes neigeux autant que peuvent l’être les blancheurs des cimes). Ton corps découvre ce qui pourrait se taire ; je prends racine dans le moindre geste, qui t’échappe. Il y a des mots avec lesquels on s’efface ; d’autres, dont la résonance nous fortifie. J’écoute ce que parle ton corps. Plus nue que toi / est l’existence.
Avec la ville, les formes s’exaspèrent. Les toits se dessinent comme prolongements du ciel.
À la terrasse d’un café, j’allume le regard, faute de fumer avec les diables. Des SDF s’en prennent à la froideur. Peut-être y aurait-il des mains pour se tendre ? J’abandonne les mots, le silence est un acte…
Les chemins vont et viennent. Je suis né à mi-hauteur. L’ascenseur qui nous élève. Je ne meurs qu’une fois. Je ne meurs qu’en. Le pouvoir n’est qu’un verbe. Le pouvoir est ce fumet. Trop longtemps. Il y a parmi les aubes
de la mesure dans l’infini
vers la marche du soir

Daniel LEDUC

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