mercredi 24 décembre 2008

À LA TOMBÉE DE L’AUBE


« Je suis né dans le soir qui se lève », dit le vieillard s’adressant à l’enfant. « Sais-tu que deux jambes font plus que trois, et qu’à trop posséder on s’appauvrit soi-même »
La nuit est un partage pour qui veut reposer.

Dans le temps, comme souvent disent les vieux… qu’y a-t-il donc dans le temps ?
La mémoire, se souvient-elle du futur ? De l’antérieur, de l’avenir du futur ?
Les pirouettes,
virevoltantes, sont
dans le temps.

Comme l’eau est un désir, comme le feu est une jouissance,
de même
ce que l’on cherche
flambe –
dans la limpidité.
J’ai retenu de ton visage
quelques gouttes,
chaudes comme de la cire,
émotion
suspendue,
flageolante
flamme.

« N’aie jamais peur du vide. Le vide est plein. »
Là-bas se trouvent des myriades de vide ; et l’on croit que le brouillard se lève ; que la vie n’est qu’un pont suspendu.
Le corps, sous la pression des actes, se creuse. Nos pensées se sillonnent.
Un coup de bêche
dans la seconde,
qu’elle ensemence
notre minute,
que nos heures soient propices.

Dès l’aube, à l’approche du reflet, les objets s’éclipsent de lumière. La moindre parcelle du monde devient un langage. Il nous faut croire au texte – pour déchiffrer le jour.
J’ai suivi, parmi la foule, la silhouette qui danse.
Je l’ai suivie dans les contours ; dans les rues adjacentes ;
au bord de ce canal qui conduit au canal ; de ce reflet qui conduit au miroir.
Je l’ai suivie, ma propre incertitude
.
C’est par ce ʺlever de soleil ʺ que nous connaissons l’erreur,
la menterie
de ce qui ne se couche
jamais.

L’horizon nous configure dans nos pensées ; et c’est bien par l’infini que nous sommes mortels, non par le temps qui compte.
J’ai lu quelques nuages, cirrus stratus et cumulonimbus, dans le ciel d’un ouvrage sur la navigation. Ce sont des lettres qui se déforment selon le temps. Des grimaces parfois, ricanent dans l’univers.
Tout livre
ne s’ouvre
qu’à l’horizon
sans bornes.
Rien ne se ferme –
sans toit.

Lorsque en ma perspective
ton visage est entré,
que l’aube s’est écartée
au seul vent de ta voix,
j’ai connu l’étrangère
en toi
comme un son familier,
qui se brise
sur les frontières,
– ʺje te salue
vieil océanʺ –,
la mer est cette étreinte
dans la houle
passagère,
perspective
du vent.
Une porte qui s’ouvre :
et l’aube sort
de ses gonds.
J’ai entrevu
tes lèvres,
je te salue
céans.

Maintenant
est le jour,
détenu
dans ta gorge…

Daniel LEDUC

vendredi 19 décembre 2008

AU PIED DE L'ARBRE


Au pied du mur le lierre s’enracine dans l’arborescence de l’ombre –
nul ne saurait contraindre l’éclair,
ni la foudre à tomber.
Les glissements de terrain, et de sens,
parfois nous emportent vers
l’impromptu,
grâce auquel advient
la résurgence du jour.
Là, sous le houppier
d’un arbre incalculable,
je demeure
dans le discours du monde ;
ce qui tente de vivre
se répercute
par delà les frontières
.
Le fourmillement d’un ruisseau
effleure mes oreilles,
comme si ce qui va
se presse
contre l’abîme
.
N’y aurait-il pas de tiges
à tailler,
d’élans
à sarcler,
de vertiges
à émonder –
que les souffles
nous traversent
enfin ?
Et les crampons du lierre
vont-ils
fissurer l’ombre ?
C’est la demeure
où tout voyage,
l’espace entre l’aube et le vent,
je
est un mobile
,
au pied de l’arbre /
la vie
s'implante /
dans l’oscillation
des soleils.
Entrenœuds,
les signes
fixeraient-ils –
ce qui s’éloigne /
avant
de s’éclipser… ?

Daniel LEDUC

lundi 8 décembre 2008

L'ARPENTEUR


Faire les cent pas, savoir que le cent-unième sera le franchissement du Rubicon, qu’il faudra s’y résoudre, que la vie est un pied posé sur des charbons ardents, savoir naître enfin, n’être qu’une bouffée sur des braises, qu’un sifflement au cœur du feu.

Devant l’horloge de la gare je fais les cent pas, en attendant quelle aventure ? Est-ce une femme que j’attends, ou le départ d’un train en direction d’Istanbul ? Ne serait-ce pas le passage, que j’attends ? Le passage, et son train d’insouciance ? Ces heures qui passent, alors que fiche le camp ?

Il a pris la direction du soir, le vieillard qui arpente. Et ses pas prennent la mesure de chaque courbe des angles, de chaque angle du cercle. Ses regards se posent, aussi. Et le repos, est une demeure qui tremble.

Je ne marcherai plus. À la mesure, de ce qui se dit, tout là-haut, sur le siège. En estimant que le pouvoir, déforme la quadrature du cercle. Que les règles sont gauchies, à seule fin de s’insinuer dans les consciences. Que l’arbitraire, aussi, devient la règle. Et qu’arpenter, nous fait tourner en rond. Je ne marcherai plus. Non !

Le pas de porte, c’est ici où commence l’arpentage ; où la topographie s’instaure ; le relevé des sources, c’est ici. La mémoire s’ouvre, comme une porte, pivote, comme une porte, grince, comme une porte… Et l’on entre, à pas de loup, dans un poulailler en désordre. De la capture ou du souvenir, lequel est le premier ? De l’œuf, ou de la poule… ? Et de l’univers, et de l’infini – lequel ?

Arpentant mon sommeil, je me retrouvai dans un grenier rempli d’objets et de poussière. J’ai tenté d’ouvrir une malle, le couvercle était trop lourd ; et des toiles d’araignées ont chuté en cascade sur mon front ; le temps avait une odeur persistante et caduque. À mon réveil, la pluie ressemblait à une fine poussière, dépoussiérée.

La marche qu’il faut gravir, vaut-elle la marche, qu’il nous faut accomplir ? Et de la senestre à la dextre, voit-on les pourtours du chemin ? Que saisit-on, de la triangulation du voyage ? La route, faudrait-il qu’elle se déroute, pour qu’on l’empruntât, pour de bon ?

Je ne mesure pas la distance parcourue ; je veille à ce qu’elle m’échappe ; comme un serin qu’on libère de sa cage ; qui explore les nuages ; et le chant.

La nuit ne se révèle pas par l’obscur, mais par la cadence des étoiles. C’est un rythme sourd, une pulsation haletante, que cet univers, incommensurable. Seule l’imagination pourrait l’arpenter, si tenté qu’elle ne se limite pas à elle-même.

Faut-il que je me heurte à mes propres cloisons, pour pouvoir échapper à moi-même ? N’y a-t-il pas d’autre mesure que cette chaîne d’arpenteur, à laquelle se fixe la conscience – telle une chienne farouche, prisonnière de sa corde ?

Un arbre, une source, quelques arpents de terre, voilà de quoi planter sa tente, demeurer dans la mouvance des heures – prendre la mesure de chaque chose. Savoir que rien ne peut être jaugé, sans son poids de contingence.

Je viendrai, certes, je viendrai où il faut que je vienne… mais par des chemins de traverse, par des voies secondaires, par les marges sans lesquelles aucune ligne ne se trace ; par des passes détournées, des pistes recouvertes, je viendrai, où il faut que je vienne… Et puis. Je décamperai !

L’étranger, où est-il ? L’étrangeté, où est-elle ? Qui passe, devant nous-mêmes ? Qui nous retient ? Et nous, nous tous, ne sommes-nous pas étranger – cet autre, qui arpente dans ses propres combles ? Ne sommes-nous pas l’inconnu(e), sur un temps qui s’ignore ?

Daniel LEDUC