mercredi 24 décembre 2008

À LA TOMBÉE DE L’AUBE


« Je suis né dans le soir qui se lève », dit le vieillard s’adressant à l’enfant. « Sais-tu que deux jambes font plus que trois, et qu’à trop posséder on s’appauvrit soi-même »
La nuit est un partage pour qui veut reposer.

Dans le temps, comme souvent disent les vieux… qu’y a-t-il donc dans le temps ?
La mémoire, se souvient-elle du futur ? De l’antérieur, de l’avenir du futur ?
Les pirouettes,
virevoltantes, sont
dans le temps.

Comme l’eau est un désir, comme le feu est une jouissance,
de même
ce que l’on cherche
flambe –
dans la limpidité.
J’ai retenu de ton visage
quelques gouttes,
chaudes comme de la cire,
émotion
suspendue,
flageolante
flamme.

« N’aie jamais peur du vide. Le vide est plein. »
Là-bas se trouvent des myriades de vide ; et l’on croit que le brouillard se lève ; que la vie n’est qu’un pont suspendu.
Le corps, sous la pression des actes, se creuse. Nos pensées se sillonnent.
Un coup de bêche
dans la seconde,
qu’elle ensemence
notre minute,
que nos heures soient propices.

Dès l’aube, à l’approche du reflet, les objets s’éclipsent de lumière. La moindre parcelle du monde devient un langage. Il nous faut croire au texte – pour déchiffrer le jour.
J’ai suivi, parmi la foule, la silhouette qui danse.
Je l’ai suivie dans les contours ; dans les rues adjacentes ;
au bord de ce canal qui conduit au canal ; de ce reflet qui conduit au miroir.
Je l’ai suivie, ma propre incertitude
.
C’est par ce ʺlever de soleil ʺ que nous connaissons l’erreur,
la menterie
de ce qui ne se couche
jamais.

L’horizon nous configure dans nos pensées ; et c’est bien par l’infini que nous sommes mortels, non par le temps qui compte.
J’ai lu quelques nuages, cirrus stratus et cumulonimbus, dans le ciel d’un ouvrage sur la navigation. Ce sont des lettres qui se déforment selon le temps. Des grimaces parfois, ricanent dans l’univers.
Tout livre
ne s’ouvre
qu’à l’horizon
sans bornes.
Rien ne se ferme –
sans toit.

Lorsque en ma perspective
ton visage est entré,
que l’aube s’est écartée
au seul vent de ta voix,
j’ai connu l’étrangère
en toi
comme un son familier,
qui se brise
sur les frontières,
– ʺje te salue
vieil océanʺ –,
la mer est cette étreinte
dans la houle
passagère,
perspective
du vent.
Une porte qui s’ouvre :
et l’aube sort
de ses gonds.
J’ai entrevu
tes lèvres,
je te salue
céans.

Maintenant
est le jour,
détenu
dans ta gorge…

Daniel LEDUC

vendredi 19 décembre 2008

AU PIED DE L'ARBRE


Au pied du mur le lierre s’enracine dans l’arborescence de l’ombre –
nul ne saurait contraindre l’éclair,
ni la foudre à tomber.
Les glissements de terrain, et de sens,
parfois nous emportent vers
l’impromptu,
grâce auquel advient
la résurgence du jour.
Là, sous le houppier
d’un arbre incalculable,
je demeure
dans le discours du monde ;
ce qui tente de vivre
se répercute
par delà les frontières
.
Le fourmillement d’un ruisseau
effleure mes oreilles,
comme si ce qui va
se presse
contre l’abîme
.
N’y aurait-il pas de tiges
à tailler,
d’élans
à sarcler,
de vertiges
à émonder –
que les souffles
nous traversent
enfin ?
Et les crampons du lierre
vont-ils
fissurer l’ombre ?
C’est la demeure
où tout voyage,
l’espace entre l’aube et le vent,
je
est un mobile
,
au pied de l’arbre /
la vie
s'implante /
dans l’oscillation
des soleils.
Entrenœuds,
les signes
fixeraient-ils –
ce qui s’éloigne /
avant
de s’éclipser… ?

Daniel LEDUC

lundi 8 décembre 2008

L'ARPENTEUR


Faire les cent pas, savoir que le cent-unième sera le franchissement du Rubicon, qu’il faudra s’y résoudre, que la vie est un pied posé sur des charbons ardents, savoir naître enfin, n’être qu’une bouffée sur des braises, qu’un sifflement au cœur du feu.

Devant l’horloge de la gare je fais les cent pas, en attendant quelle aventure ? Est-ce une femme que j’attends, ou le départ d’un train en direction d’Istanbul ? Ne serait-ce pas le passage, que j’attends ? Le passage, et son train d’insouciance ? Ces heures qui passent, alors que fiche le camp ?

Il a pris la direction du soir, le vieillard qui arpente. Et ses pas prennent la mesure de chaque courbe des angles, de chaque angle du cercle. Ses regards se posent, aussi. Et le repos, est une demeure qui tremble.

Je ne marcherai plus. À la mesure, de ce qui se dit, tout là-haut, sur le siège. En estimant que le pouvoir, déforme la quadrature du cercle. Que les règles sont gauchies, à seule fin de s’insinuer dans les consciences. Que l’arbitraire, aussi, devient la règle. Et qu’arpenter, nous fait tourner en rond. Je ne marcherai plus. Non !

Le pas de porte, c’est ici où commence l’arpentage ; où la topographie s’instaure ; le relevé des sources, c’est ici. La mémoire s’ouvre, comme une porte, pivote, comme une porte, grince, comme une porte… Et l’on entre, à pas de loup, dans un poulailler en désordre. De la capture ou du souvenir, lequel est le premier ? De l’œuf, ou de la poule… ? Et de l’univers, et de l’infini – lequel ?

Arpentant mon sommeil, je me retrouvai dans un grenier rempli d’objets et de poussière. J’ai tenté d’ouvrir une malle, le couvercle était trop lourd ; et des toiles d’araignées ont chuté en cascade sur mon front ; le temps avait une odeur persistante et caduque. À mon réveil, la pluie ressemblait à une fine poussière, dépoussiérée.

La marche qu’il faut gravir, vaut-elle la marche, qu’il nous faut accomplir ? Et de la senestre à la dextre, voit-on les pourtours du chemin ? Que saisit-on, de la triangulation du voyage ? La route, faudrait-il qu’elle se déroute, pour qu’on l’empruntât, pour de bon ?

Je ne mesure pas la distance parcourue ; je veille à ce qu’elle m’échappe ; comme un serin qu’on libère de sa cage ; qui explore les nuages ; et le chant.

La nuit ne se révèle pas par l’obscur, mais par la cadence des étoiles. C’est un rythme sourd, une pulsation haletante, que cet univers, incommensurable. Seule l’imagination pourrait l’arpenter, si tenté qu’elle ne se limite pas à elle-même.

Faut-il que je me heurte à mes propres cloisons, pour pouvoir échapper à moi-même ? N’y a-t-il pas d’autre mesure que cette chaîne d’arpenteur, à laquelle se fixe la conscience – telle une chienne farouche, prisonnière de sa corde ?

Un arbre, une source, quelques arpents de terre, voilà de quoi planter sa tente, demeurer dans la mouvance des heures – prendre la mesure de chaque chose. Savoir que rien ne peut être jaugé, sans son poids de contingence.

Je viendrai, certes, je viendrai où il faut que je vienne… mais par des chemins de traverse, par des voies secondaires, par les marges sans lesquelles aucune ligne ne se trace ; par des passes détournées, des pistes recouvertes, je viendrai, où il faut que je vienne… Et puis. Je décamperai !

L’étranger, où est-il ? L’étrangeté, où est-elle ? Qui passe, devant nous-mêmes ? Qui nous retient ? Et nous, nous tous, ne sommes-nous pas étranger – cet autre, qui arpente dans ses propres combles ? Ne sommes-nous pas l’inconnu(e), sur un temps qui s’ignore ?

Daniel LEDUC

dimanche 30 novembre 2008

ÉTAT DE VEILLE


« Nous nous pencherons sur un livre, afin de pouvoir guetter le monde », c’est la voix noueuse du conteur qui s’exprime ; et ses mains retiennent des mots ; des mots volatiles qui s’échappent des pages ; des mots, à la lisière du monde.
Le conteur, dans sa parole, ne fait qu’acheminer des pierres qui ont fondé les siècles ; véhiculer le souffle et l’esprit des ancêtres ; charroyer les symboles qu’entretiennent les mythes ; tamiser des légendes – qu’elles sécrètent une substance âcre et soyeuse, autant que l’origine du ventre.
« Nous nous pencherons sur le rebord, des fenêtres et des gouffres, afin de percevoir ce que sait l’ignorance. »
Je m’en vais émotter la terre de mon enfance, fractionner les souvenirs jusqu’en connaître chaque pore et chaque lambeau. C’est ainsi que les sorts les sources les cercles des contes me reviennent en tambour. Et les diables, les sorcières et leur marmite, les fées savantes ou criardes, les dragons aux cris de flamme, les lutins et autres farfadets heurtent mes tympans, au point de me rendre sourd à la grisaille d’octobre.
« Sur la nuit qui survient toujours hâtive, nous nous pencherons pour en saisir l’ancre, la jeter plus loin que l’aube. »
Et je dis que l’automne est un miroir, sur lequel frisent nos souvenirs échus. Je dis, comme un rideau de pluie, qui se déchire, sur une lanterne.
« À la margelle du puits, nous nous pencherons. »

Le gué, il faudra le traverser avant que la crue ne parvienne.
Là-bas les champs font des vagues ; ici, c’est déjà le tangage.
Les eaux montent ; et nous ignorons jusqu’où gueulent les rugissants et délirants. Les eaux s'enflamment. Et la terre, sous nos yeux, s’enfouit.
Je réchaufferai l’humidité des actes. J’envelopperai
ce qui suinte des peurs irrationnelles ;
martèlerai
les peurs
judicieuses.
Combien d’îlots, combien d’îles,
combien de pensées trop rases
pour sombrer dans l’oubli ?
Tambourinerai –
sur les vagues
de silence.

Le matin, c’est encore une écharpe que l’on soustrait de la lumière ; un masque, réverbérant, qui tombe.
Les Harpie, Pégase, Sirènes, Chimère ont rejoint leurs légendes ; et le Phénix, pour s’être consumé, renaîtra dans le crépuscule du soir.
Je feuillette les quotidiens, à la recherche de quelques miettes provenant de mes tartines ; et je tombe sur des bribes de fracas et de colère.
La guerre, n’est jamais loin, des mots.
La barbarie, gicle de l’encre.
Là-bas dans cette triperie, on enveloppera des viscères dans du papier journal.
Le sang, voilà ce qui barbouille le quotidien, du monde.
Le matin, une autre clarté domine.
Celle des corps qui s’éveillent au mouvement des astres.
Celle
de l’érection
des mots,
comme une pensée
sauvage.
Celle
du vent,
au plus haut
de son ivresse.

La nature – est-ce un concept ? – ne s’oppose qu’à elle-même ; et la culture est cette autre nature, qui se plante, là, où ne poussent que des termes. Et le temps s’achève
pour devenir le temps.
J’ai regardé
les circonvolutions
des abeilles,
les sinuosités
des pipistrelles,
la chevauchée
des saisons.
– Que viens-tu faire au creux de mon ombre ?
– Y trouver un peu de clarté.
– Regarde, je ne sais plus voir : ni le centre, ni les contours.
– Je saurai te montrer.
– Mes yeux…
– …ils brûlent comme un soleil…

La nature sait surprendre
ce qui se tapit
hors d’elle-même.
J’ai regardé…
entre
les saisons
.

Daniel LEDUC

vendredi 21 novembre 2008

L’INACHEVÉ


Le café ruisselle dans ma gorge, la nuit suinte
entre les lignes…
Dehors tout est frissonnement de feuilles, oscillation
du temps…
J’ai ton corps dans ma peau, grain de beauté
du monde…
Ailleurs que tu sois, tu es ici
palpable…
L’immensité de l’aube serait-elle
un trou noir…
Le fragmentaire ferait-il
un présent…
J’ai bu ce qu’il fallait entendre
de l’éruption
vitale…
Ce qui fermente des oublis,
des lacunes…
Ta peau sera
la dernière page du livre…
Ma main,
le point de suspension…
À présent que la guerre se replie tout en se déployant ; à présent que les hommes tournoient sur leurs propres manèges ; à présent que le ciel s’alourdit d’hydrofluorocarbures ; à présent que les riches thésaurisent, que les pauvres s’appauvrissent ; à présent que le passé s’empile, sans jamais devenir présent ; la Terre n’est plus ni carte, ni continent ; mais source de réfraction, pour qui veut penser les plaies, augmenter les attelles, réduire les fractures – que le silence tempête enfin, soulevant l’étincelle.
Le café ouvre ses portes
sur la marée montante…
De la terrasse on imagine
le bouillonnement des astres…
Ton vagin est un repli
où l’ombre s’illumine…
Mon regard sera toujours
dans l’angle du feu…
Le crépuscule n’est qu’un terme
qui commence avec l’oubli…
Et ce sont des morceaux de phrases
qui tissent notre avenir…
J’ai trinqué au sperme du jour,
à la cyprine des nuits…
Ta peau est une feuille
qui se tourne
héliotrope…
La marée –
c’est une pensée
à l’innombrable écho…
Le corps de la Terre se fissure par l’agitation des Hommes ; des brumes se lèvent, naguère somnolentes, en concordance avec le crachin de la mer ; tout tangue en des lieux immobiles, tout s'endigue sur la crête des vagues ; le corps de la Terre exsude un trop-plein d’immondices ; et de ses splendeurs nous peignons nos yeux, avant, qu’aveugles, ils ne pleurent la lumière.
Au bar de la tempête
des éclats de voix
se grisent…
Recouvreront-ils
les fulgurances du temps…
J’embrasse ton corps, tes ombres,
ce qui te constitue…
De ton regard je ne vois
qu’une houle
pensive…
Le soir n’est qu’un terme
qui tombe
comme un cheveu…
Ce ne sont que des mots
dont nous vêtons
nos rêves…
J’ai mordu dans le feu
à m’en faire
crisser les dents…
Le jusant
n’est qu’un flux…
de mémoire…
La beauté quelle qu’elle soit retient le souffle, les saisons ; et le temps n’a rien à mettre, au regard de ce qui flamboie : la Terre se dévêt, encore la nudité n’est-elle qu’un autre voile ; nous passons près des miroirs, n’en cueillons qu’un reflet ; la beauté nous confectionne, nous enveloppe de ses lueurs ; chaque aube est un savoir qui se détisse, qu’il nous faut ravauder ; la Terre, c’est ainsi qu’on la nomme, alors même qu’il faut crier.
Le bar frétille encore
dans la poêle
incendiaire…
N’y a-t-il
que peau, que chair,
qu’arêtes
pour grésiller ainsi…
Et ton amour
ne serait-ce pas friture…
Crépitement de mots imprévus…
C’est un crépuscule qui nous crée,
qui nous hypnotise…
C’est un ventre
dont nous sommes,
la paroi et le muscle…
Je crache le feu –
comme on crache
dessus les toits…
Les livres croissent avec les arbres ; le hasard nous crée dans sa nécessité ; et nos gestes sont des branches, agitées par des rafales ; de si loin nous venons nous dire des contes improbables ; et nous comptons sur des forces pour épuiser nos doutes, sur des marches pour accéder au pas ; sur l’avenir nous comptons, ainsi qu’on énumère tous les possibles, et leurs autres figures ; ouvrons nos portes et nos livres, que le souffre s’empare !
Le lieu s’agite aussi
lorsque nous
quittons…
Tes paroles
sont alors
des traces
dans l’impossible…
Ton corps me restitue…
Le soir
qui chutera
comme un automne…
Le ventre
où s’égrènent
toutes les soifs…
Le feu
qui ne retient…
que l’ombre…
La mort, ce n’est pas le miroir ni la vitre ; ce n’est qu’un terme qui se suspend ; et nos lèvres ne prononcent qu’un écho, sans jamais en connaître la source, ni les parois qui le projettent ; nos lèvres s’entrouvrent comme on baye ; et toutes les corneilles s’échappent d’entre nos dents ; et sur la langue ne reste qu’un miroir ; qu’une vitre ; nous séparant du temps.
Le milieu où s’agitent
le centre et son pourtour…
Tout ce qui se nomme
en étant anonyme…
Ton corps,
comme une exacte
incertitude…
Et puis le soir,
sombre
exigence…
Qu’illumine
le feu,
bondissant
d’autre part…
L’étranger vient de cet autre lieu, où nous allons, par son regard ; il demeure dans des pensées, dont nous sommes le miroir, comme il reflète nos propres réflexions ; et la danse le chant qu’il envisage, sont nos propres pas et paroles, dans un autre tempo ; c’est à son murmure que l’on reconnaît la rigole qui parcourt nos prés ; et sa main se pose, comme l’hirondelle qui paraît-il, fait le printemps ; l’étranger chaque matin, se réveille là, au cœur du miroir ; alors même que l’on se peigne, se maquille, ou se rase ; face à l’asymétrie ; du temps.
Il y a des lieues,
des lustres –
des insondables…
Toujours plus loin,
ta peau reste
et demeure…
La nuit,
est-ce-t-elle
qui nous franchit…
Par le flambeau
de ce qui sème…
Derrière la face est la figure, la nudité des sens ; nous voyons ce qui sépare, trop souvent nous voyons ; ce qui retient s’échappe ; et le temps nous transfigure.
Il y a des lustres…
Ton corps s'embrase…
Lueur dans l’aube…
Et cette nudité, pourquoi est-elle soudaine.
Ton corps s'attise…
Le jour
se déboutonne…
Dépouillement, dans un silence aigu.
Ton
corps…

Daniel LEDUC

mardi 4 novembre 2008

Les chemins vont et viennent


Les chemins vont et viennent sous mes pas,
et des traces de suites laissent leurs empreintes
sur les murs de ma mémoire offerte aux ombres
qui se déversent d’un ciel sans âge et sans limites.
Je suis né à mi-hauteur d’un siècle
dont les persiennes claquent encore aux vents
comme autant de focs et de haubans
geignant de cette solitude des Hommes,
de ce fracas des corps contre la cage du temps.
L’ascenseur qui nous élève comme nous grandit le soir
l’ascenseur nous vrille dans cette spirale
qu’est l’apparence des heures sur le cadran inox ;
nous voilà cette aiguille qui perce et qui domine
tout en se pliant sous le poids du gel
dont l’hiver a saupoudré tous nos printemps.
Je ne meurs qu’une fois dans mon haleine
lorsque mes mots s’essoufflent sous le sang
que des guerriers ont projeté comme des pierres.
Je ne meurs qu’en me disant. Mais je renais plus fort
chaque fois que mon mutisme chancelle
face aux pantomimes de ceux qui nous gouvernent.
Le pouvoir n’est qu’un verbe qui se voit au présent
et que d’aucuns conjuguent comme on jugule le vent.
Le pouvoir est ce fumet qui flambe de la cendre illusoire.
Trop longtemps j’ai marché sur des doutes
qui ressemblaient à des vertiges, trop longtemps.
Il y a parmi les aubes de ces flambeaux obscurs
qui font de la nature un ruissellement
sur la sécheresse du monde ; de ces percées,
au plus dur de l’existence, qui affleurent
donnant de la clarté aux mansardes les plus ternes ;
de ces bousculements sur l’inertie des jours ; de ces voiles
qui se déchirent, avant même d’être tissés ; il y a
de la suée sur l’aube, comme un travail fécond
qui draine les terres les moins fertiles, les espaces
les plus vastes au cœur… de ces interstices les plus brefs ;
il ya de la mesure, dans l’infini de l’aube.
Du pied, j’écarte les mottes de terre. J’avance en claudiquant.
Je reconnais les creux à ce qu’ils nous retiennent
dans la marche vers le soir. Je reconnais les ombres.
Et ma vie s’étire, en des branches, circonspectes…
Les oiseaux nous préviennent des heurts
avec le temps
. Qui parle de progrès lorsque meurent des enfants
par manque, loin du souci des ventres, bidonnants ?
Qui parle de l’humanité de l’homme, des portes qui s’ouvrent
sur ces contrées désertes croit-on, sur ces grincements de dents ?
Je relie sans cesse le regard et le livre, le contour
et la réfraction. Je relie, sur une paume tournée vers la mer –
de là où nous venons, sans cesse. Où nos corps se pensent,
agités par la marée du monde ; par le liquide amniotique,
pansés ; par toutes les eaux qui les composent, où nos corps
se dépensent. Je relie la fibre, et le fil qui nous retient
à peine. Les oiseaux s’inscrivent entre la terre et le ciel,
nous dévoilant la danse entre deux eaux
. Chaque être
est un oiseau, lorsque immensément de l’à-foison
il se délivre, abandonnant ce qui pèse sur le vide ;
de ses propres plumes goudronnées de fiel, se dépouillant –
volatile. Les oiseaux nous préviennent. Et nous volons vers
l’absurdité de nos propres cloisons. Nous volons
ce que la terre nous cède, à son corps défendant…
Dans mes pensées les arbres s’enracinent,
prégnante fluidité de sève, le bois s’articule dans les os ;
mes nerfs ne sont que fibres, tendues vers le faîte
où s’effacent les nuages ; le ciel est cette page
que l’univers feuillette infiniment ;
je me reconnais dans le fruit qui féconde…
Là-bas la ville, regardez comme elle bourdonne ;
comme ses pierres chuintent, saisies dans le ciment des jours ;
regardez ces vibrations, faites de la peau
et du regard des Hommes. La ville est un roulement – virevoltant.
Les oiseaux s’inoculent des distances, et nous frayons, fragiles
entre leurs chants
. Je reconnais la brise. C’est elle qui rompt
silence et lacune. Je reconnais la tourbe, sur ces plateaux brumeux,
imbibés de tant de siècles aux eaux – déracinées du ciel.
Plus loin la ville s’électrise, du mouvement perpétuel ; en son
sommeil, est une autre clarté. Sont d’autres moissons. Les oiseaux nous en
chantent
. Ce que les pneus briquent le bitume ! la ville s’écrase
sous la torpeur de ses propres frottements. Je reconnais
l’usure. L’espacement des vertiges. Les oiseaux portent
ce qu’abandonne la brise
. Je ne reconnais pas le gong
des cathédrales, ni celui des serments ; celui du tonnerre
sur les peuples migrants ; je ne reconnais pas les murs,
ni leurs pierres qui fractionnent ; césure, sépare-toi de ta coupe !
trop creuse pour être pleine. Je reconnais les friches,
ce qui peut y croître. Les oiseaux créent la graine
dont se nourrissent l'attente, et le désir, son frère
. La ville
mugit encore. Je reconnais son souffle… D’ailleurs la pierre
n’est-elle pas l’effluve de ce qui dure en s’émoussant ?
Ton corps allonge mes latitudes, oriente ma boussole, desserre mes étaux. J’emprunte la voie des navigations secrètes, où la carte ne saurait être ni tracé, ni territoire (tu te plonges dans des spasmes neigeux autant que peuvent l’être les blancheurs des cimes). Ton corps découvre ce qui pourrait se taire ; je prends racine dans le moindre geste, qui t’échappe. Il y a des mots avec lesquels on s’efface ; d’autres, dont la résonance nous fortifie. J’écoute ce que parle ton corps. Plus nue que toi / est l’existence.
Avec la ville, les formes s’exaspèrent. Les toits se dessinent comme prolongements du ciel.
À la terrasse d’un café, j’allume le regard, faute de fumer avec les diables. Des SDF s’en prennent à la froideur. Peut-être y aurait-il des mains pour se tendre ? J’abandonne les mots, le silence est un acte…
Les chemins vont et viennent. Je suis né à mi-hauteur. L’ascenseur qui nous élève. Je ne meurs qu’une fois. Je ne meurs qu’en. Le pouvoir n’est qu’un verbe. Le pouvoir est ce fumet. Trop longtemps. Il y a parmi les aubes
de la mesure dans l’infini
vers la marche du soir

Daniel LEDUC

vendredi 10 octobre 2008

GESTES DU JOUR (30)


Encore des murs derrière les murs, des murs sur les côtés. Ce qui protège, et qui sépare. Ce qui écarte et réconforte.
Encore des cloisons, des murs. Des façades, sur lesquelles s’appuient, les bruits et les tempêtes. De la brique, du plâtre, du béton…
Les toits de la ville reposent sur les pensées, sur la tête, les bras des Hommes.
Et nos pensées,
sur quoi reposent-elles ?
Entre les routes qui s’entrecroisent, mon pas circule, prêt à franchir le pas. Les regards de femmes me portent plus loin – c’est l’horizon qui pense.
À une ville,
rien ne ressemble autant
que la ville. Rien n’est aussi
différent.

Le passé se reconstruit dans la mémoire, non qu’il s’empile, mais il s’enlace, s’enroule autour, se renvide, se vrille dans la chair des jours.
Le passé, par les trous de mémoire, ne passe pas, par le chas de l’aiguille, ne passe, qu’avec le temps.
Même nouvelle, la ville est un passé ; sur des strates millénaires ; où la nature s’est érigée en piles de feuilles ; pour des livres non-écrits.
De quoi se souvient-on lorsqu’on oublie ? Et de quelle absence, émergent nos traces ?
J’aurais voulu croire
que mes amours
dormaient entre mes yeux --
certaines
s’étaient enfuies,
abandonnant mes sphères :
comme on quitte le nid
après l’orage. Certaines
s’étaient enfuies…

La carte, représentation des forces, calque la ville, sur ses itinéraires, galbés. Il y a de la distorsion entre l’image et le palpable ; de l’étrangeté entre l’esprit et la parole…
La ville ne s’insère dans aucune case, si grande soit-elle. Pas plus qu’une pensée ne saurait s'enchâsser dans un laps de temps.
Ici-même, il y a des grandeurs qui échappent.
Qu’en est-il, alors, du faisceau des étoiles, des furtifs multivers ?
Je compte, sur aujourd’hui, pour compter sur demain.
Une fille, dans mes bras, se confie :
c’est tout-
un univers.

Daniel LEDUC

vendredi 3 octobre 2008

GESTES DU JOUR (29)


Les verticales des tours rejoignent l’horizontale du ciel, dans son peuple de nuages ; il y a, au plus vif du regard, une profondeur de champ, en ces villes qui grattent et titillent le ciel, avec, leurs bras de béton. Même où réside le vertige, les parallèles flirtent à l’infini.
J’ai regardé la beauté sous un angle : elle était en train, de se dévêtir.
Et je t’enlace, beauté ; te confond avec toi-même ; en ce que tu es ce qui n’existe pas ; beauté, d’incertitude.
Je prends ton corps, même dans ses plis ; dans ces rides, sillons du temps.
La ville, savez-vous, elle transfigure.
La pluie devient sèche ; le sec devient luisant.
La nature, c’est elle qui participe.
Au participe. Présent.

Et l’on voudrait que rien n’efface les courbes de l’horizon ; que le sang ne coule en dehors des veines ; que la nuit soit un autre jour, plein de sens et d’aurores ; que les frondaisons perdurent par-delà les circonstances ; que le sein soit volubile, et la bouche, nourricière ; qu’il y ait de la terre dans l’air, et de l’eau dans la pierre ; que les fleurs ne soient jamais fanées ; ni le désir, ni l’ocre ; ni le feu, ni l’ombre ; ni le regard ; ni l’ailleurs. Ni
ce qui nous é-
rectile
jusqu’au cœur
des saisons…
Voilà la ville
où nous vivons,
pensante
en son sommeil. Ville
où l’attente
perce neige ;
et l’espoir,
du béton.

La viande, elle est dans les mots, dans la chair, et dans la chair des mots ; elle se nourrit, aussi bien de l’eau, que du feu qui persiste après le feu.
À l’étal du boucher, bien sûr, c’est la mort qui s’exhibe ; mais la transfiguration de la nature, l’infinie finitude, l’impossible effacement du mystère ; cette viande qu’est le regard, qui questionne.
Je découpe les pages d’un livre, tranche dans la lecture, incise les phrases avant qu’elles ne m’échappent. Je reconnais le bon morceau à sa résistante tendreté. Et je mâche,
les nerfs et les muscles,
ceux même
que je ne digère pas.
La ville est un livre,
à la fois
ouvert et fermé –
porte battante
aux vents.

Daniel LEDUC

mercredi 1 octobre 2008

GESTES DU JOUR (28)


Certaines villes ont des boyaux par lesquels transitent des substances vitales, telles que les foules du métro. Chaque jour digère son flot de visages, d’expressions appuyées, de bourdonnements muets. Et la ville se sustente de ces circulations internes, alors même qu’elle engloutit les ordures et autres pollutions dégorgées par les Hommes.
Je respire ta peau ; l’encre de ta parole ; les fluides qui se dégagent d’entre tes cuisses ; la vie, en gestation, comme une fresque, jamais finie.
Dans une rue, là, au bord du trottoir,
une vieille femme geint :
on dirait qu’elle ravaude
son histoire,
tant s’effilochent
ses mots.
Je la regarde,
comme on saisit l’instant
qui nous échappe.
La ville demeure ; le fugitif,
aussi.

Derrière les fenêtres, s’encanaillent les ombres, avec la fringante voracité de la lumière. Tout ce qui peut s’émouvoir se meut dans la transparence du réel ; et les fruits du visible mûrissent au contact de ce qui s’évapore.
Me disais-tu combien l’amour est fait d’ondes et de corpuscules ; combien la danse des cercles et des oiseaux est une corde, dans l’oscillation du monde ; et combien nous participerons, peut-être, à la trajectoire des ensoleillements.
La ville repose
sur l’éternelle question
du vide – faut-il bâtir
sur de l’histoire,
ou sur la table rase ?
Où naviguent tes mots
en cet instant ?
Que deviennent
tes
chan-
sons ?

Poussée et poussée et poussée,
Toujours la procréante poussée du monde.
Walt WHITMAN
La rue capte les dissonances du pouvoir ; et c’est elle qui, en dernier ressort, piaffe et regimbe, jusqu’à désarçonner le fumiste dragon. L’Histoire bégaye, baragouine et ânonne ; mais toujours l’Histoire se ressaisit, se remettant en selle. Et la rue, traverse le temps, en dehors des passages….la rue.
J’aurais voulu, de même, traverser mon sommeil ; rêver qu’ « un jour, tout vallon sera relevé, toute montagne et toute colline seront rabaissés, tout éperon deviendra une plaine, tout mamelon une trouée… »(1) ; rêver....
Mais la ville est là, qui dicte ses flux et reflux.
La ville nous éveille, aux sens
interdits – que tout laïus giratoire
finisse
au rebut,
loin d’écrits et cités.
La ville, par les vents contraires,
se soulève,
troussée
comme sans vergogne ;
le temps……….lui appartient.

Daniel LEDUC

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(1) Extrait du célèbre discours prononcé par Martin Luther King au Lincoln Memorial de Washington, le 28 août 1963.

samedi 27 septembre 2008

GESTES DU JOUR (27)


L’escalier se perd dans les ombres, les ombres dans les ruelles, les ruelles dans la ville…et l’infini se courbe sur le halo des réverbères.
N’as-tu connu que des amours de sable ? Que du verre dans la transparence des regards ? Du fugitif, au sein même de tes intrigues ?
Et ton corps, posé dans ses caresses, s’est-il assouvi de la parole du geste ?
L’escalier s’entortille autour de la pénombre.
Crois-tu qu’il y ait des corps, gisant comme de la pierre ? Des corps vivants, gisant comme de la pierre ?
Non ! Les morts eux-mêmes sont des corpuscules nerveux. Eux-mêmes disent ce qu’il y a d’immuable dans l’univers…
Et ton plaisir ?
Je n’en connais qu’une marche.
Qu’une ruelle.
Qu’un rai
voilé
de lampadaire…
De ton plaisir.

Le corps, c’est aussi la mémoire du corps. L’inlassable mémoire, empreintes de chaque effleurement, de chaque palpation, de chaque étreinte, de chaque rupture. Ce qui nous sculpte en nous-même, par les pores et fibres de la peau.
Même la ville est un corps.
Ses artères, bien sûr ; ses venelles ;
son cœur, milieu du centre, point névralgique ;
ses faces et ses façades ; ses fronts et frontispices ;
ses arcades, ses bouches ; ses autres appendices ; et
ses pattes d’oie
d’où essaiment des nomades
allégoriques…
La ville jouit
de la faveur
des corps.
Et ton corps
me circule.
Je t’ai aimée, avant même de t’aimer ;
je t’ai
soulevée
par des encombrements.
Les mots, ce sont eux,
les premiers signes
La ville dort
quand même
je t’investis.

Dans l’utérus de la ville se fécondent les futurs objets du désir.
Tu t’es dévêtue auprès d’une fontaine, j’y abreuvais mon souffle.
J’ai encerclé ta peau par ces murmures, par ces cris qui se déchirent contre les flancs.
La ville s’essouffle, à l’heure où les amants vont boire.
Pourquoi, après chaque orgasme, abandonner ta mue ?
Je reste ainsi, dans un sommeil lucide, à étreindre une absence.
Et la nuit est encore ce jour, culbuté, où plus rien ne tient debout.
Çà et là, c’est une ville qui nous fantasme, quand nous dormons en elle. Une ville
aux sursauts
du réveil. Réinventée…

Daniel LEDUC

mercredi 10 septembre 2008

GESTES DU JOUR (26)


Que la nuit est transparente, traversée par la ville. Peut-être y a-t-il des foules, qui se lèvent comme des aubes. Y a-t-il des échappées, dans le marbre qui sommeille.
J’ai la mort dans la tasse ; âcre marc de café, qui, dans la gorge, fusionne.
Je bois, jusqu’à l’horizon, l’énervement du temps.
C’est comme une impatience, qui me prend par l’ouïe, me raconte qui tu es, toi, qui ressemble : à une goutte d’eau.
Je te verse te renverse et te renverse encore.
Après les corps, me diras-tu :
« une goutte d’eau ça ne ressemble…»
Transparence de la nuit.
Échappement de la ville.
Ça goutte
là où ça gîte. La vie.

Entre l’autre et soi-même s’immiscent les mouvements des mots. Et la même phrase, dite en un autre lieu, prenant tout autre résonance, marque un geste indéfini, qui dévie son sens et la portée du sens.
Ainsi relions-nous la parole, aux échos aléatoires qu’elle génère.
La ville se construit, tant par le regard, que par l’humeur qui nous guident.
Et le frôlement machinal de la foule
s’inscrit en palimpseste
sur le grain de la peau.
J’ai croisé des yeux de miroir ; d’autres de caverne ; d’autres encore de vague, submergeant les miroirs.
Je t’ai sentie soucieuse, mâchant je ne sais quelle subsistance ni quelle amertume.
« La guerre est en nous », as-tu lâché
comme un pet
qui bredouille.
Derrière la ville, là-bas,
y a-t-il encore
des terrains vagues ?
Où l’on pourrait
se figurer ?

Figures, du haut des nuages des gargouilles nous observent, et l’absence de vent suspend la trajectoire des formes.
Figures, les enfants frappent sur les flaques avec leurs chaussures d’eau. Des étoiles se profilent dans leurs songes. Et la pluie, étrangère, se glisse entre la pluie.
Figures, c’est peut-être du sable, qui marque nos pas, alors que nous allons, en des endroits voûtés, où le temps courbe, ce qu’il ne peut courber…
Figures, voilà l’autre nomade, le conteur des nuits claires, dont les fables s’apprêtent, ainsi que des gymnastes.
Figures, nous sommes une envolée, un essor d’apologues, une sourde pirouette, un écla-
tement de voix.
Figures, la ville se transfigure.
S’étire
l’élan
qui nous disperse,
l’élan
qui nous confond –
ce que nous sommes
caoutchouteux,
nous autres hommes.
Figurez-vous.

Daniel LEDUC

dimanche 7 septembre 2008

GESTES DU JOUR (25)


Le cercle est-il interne ou externe ? m’as-tu demandé un jour d’hiver, l’univers est-il en nous, ou en-dehors de nous ?
Je n’ai su que répondre ; et la ville s’est approfondie dans son mystère.
Il y avait un attroupement autour d’un avaleur de sabre ; une foule compacte autour d’un cracheur de feu ; une multitude autour d’un montreur d’ours ; c’était l’hiver, la ville se resserrait sur nous.
Et là, nous étions seuls,
dans notre unique question.

Dans la ville, le feu circule pour signaler. Vert, jaune ou rouge, c’est un feu péremptoire, qui parfois cligne de l’œil, lançant ses injonctions.
Je me souviens du feu de la forge, bouquets d’étincelles, crépitements sous les coups de marteau – le bras d’Héphaïstos, pèse sur l’enclume son poids d’ombre chancelante.
Je me souviens du feu fol et du feux follet. De la nature en feu, sous le soleil d’automne.
De feux mes amis, disparus.
De ce foyer, quitté un soir, pour une autre mémoire, pour une autre vi(ll)e.
Loin du feu prométhéen. Loin de la motte d’argile.
Loin
des promesses de l’aube.
Au plus près
des lumières de la ville…
tel un feu marmottant –
qui
s’entretient.

L’eau de la ville s’écoute, dans les égouts, dans les gouttières ; dans tout ce qui suinte, de temps, et d’origine ; l’eau dégouline, après avoir mouillé, l’humidité de l’air.
Enivrante, l’eau de la ville, comme l’eau de vie.
Plus que de raison, j’ai bu ma source et mon souci.
L’eau du désir, m’a fait gargouillé dans les veines.
Et je me suis dissous, dans des chairs sirupeuses.
Et l’harmonie des formes a exalté mes forces.
Je suis, dans la ville, un fluide ; léchant les vitrines, la pénombre, qui exsude des jours,
contusionnés comme
quelques
souvenances. La
ville est un
lampion –
et fête
ce que vivrez
. La vie.

Daniel LEDUC

vendredi 5 septembre 2008

GESTES DU JOUR (24)


Sur la place, d’anciennes foires murmurent encore, et ce sont les enfants qui perçoivent, ce que le passé devise avec l'éloignement. Admettre qu’une vie soit faite, de trous d’air autant, que de pleines heures. Toute place prend la place qui demeure. La ville / s’écoute grandir – spasme espace. Et j’entends
la pluie graviter
des siècles anciens ;
et ces contes qui mijotent
au fond des marmites ;
et ces cris bouillant
dans le cœur des miséreux ;
et ces boutiquiers qui piaillent
enfournant leurs richesses
comme on enfourne un plat
de petits-fours ;
et ces mirlitons
se pendant au cou du ciel
avant que l’oubli ne fasse
le ménage ; et
ces autres contours
qu’aucune mémoire
ne sait retenir... Là,
j’entends la place :
qui m’attend.

Le seuil de chaque maison est un pas franchit qui porte.
J’aurais voulu croire que le temps passait comme un café corsé ; que nos passions se faisaient tamiser par les sables mouvants ; que rien ne restait lorsque tout était dit ; j’aurais voulu filtrer, mais quoi, de ce torrent sans eau ?
La ville recueille les pas des mots qui passent.
Il en demeure pas moins.
Le reste,
où reste-t-il ?

Souvent les voisins sont reflets de nous-mêmes ; ils côtoient en nous ce que nous avons de voisinage ; et leur porte est semblable aux portées qui rythment.
La ville est un assemblage de proche et de lointain ; l’horizon s’y replie comme après la brume ; limitrophe et contigu déforment les distances.
Les bruits eux-mêmes
sont chantournés,
se raclant les uns
contre les autres.
J’essuie mon dernier rêve.
Ainsi
sera-t-il plus net.
Dans
sa propre obscurité.

Daniel LEDUC

mardi 26 août 2008

GESTES DU JOUR (23)


Tout pont se traverse dans un élan de vertige et d’espoir.
D’un côté à l’autre, d’une face à l’autre, le réel dépend du reflet qui brasille.
J’ai des pas sautillant ; d’autres qui traînent, dans un rythme lent d’oscillations puériles ; des pas trébuchant sur des traces indistinctes ; d’autres pas que recouvre la neige, alors même, qu’il ne neige pas…
La ville est une couleur changeante, selon l’humeur de qui l’arpente ; elle se laisse appréhender avec les mêmes regards, qu’un film qui se dévêt, devant un(e) cinéphile ; bobine qui se déroule, au fil conducteur, de nos pensées mouvantes, la ville est une fresque.
Et j’observe ce qui change dans l’enchaînement des jours ; ce qui se transmet par delà les lacunes ; les voix qui se répercutent, comme autant d’images, tagguées sur la pierre.
Regarde la ville qui regarde.
Ce qui chavire, c’est l’essentiel
sais-tu.

La promenade nous entraîne où circulent les courants d’air. Toujours les nuages se fractionnent pour composer de nouvelles formes, désharmonies dans l’enchantement du monde.
J’ai cru percevoir un cri, d’où s’engendrait le silence.
La ville s’étreint, entre les courbes et les lignes, par l’imperfection que l’usure entretient. Si la splendeur était exemplaire, elle ne serait qu’un simple archétype, bon à jeter aux sorties. N’est beau que ce qui tremble. Et vibre la ville
sous les carcasses du temps.

Les chiens errants traquent les ombres de la ville. Leurs jappements jouent, avec les javelots, des lampadaires.
Parcourai-je à vélo des distances imaginaires ? Que la lecture des pierres multipliera de mythes ?
Saurai-je m’égarer, ainsi que la sagesse, dans les méandres, de la question ? Ne répondre, que par d’autres questions ?
Pourquoi la ville est-elle citée ? Et pourquoi la République, ne répond-elle pas ?
Je m’endormirai
dans l’attente de la mémoire ;
qu’elle te soulève encore,
fille
au regard
de fontaine ;
qu’elle t’emprunte
ces derniers mots :
« Ne pleure pas
de l’absence.
Le soir
n’est que l’aube
à venir. »

Daniel LEDUC


vendredi 22 août 2008

GESTES DU JOUR (22)


La vie s’étend comme un vieux drap mouillé.
Que sait-on des perspectives qui franchissent l’horizon ? Le bruit court, que l’on ne sait connaître – que nul n’attrapera.
J’ai lâché un fauve, derrière des nuages moutonneux, qu’il s’éprenne des courbes de la splendeur, ainsi que je m’éprends des lumières de la ville. Que la beauté soit
dans la fureur des lignes.
Autant d’éclats, autant de silhouettes. J’ai rêvé
ne pas comprendre ce que je rêve. Savoir
n’est pas connaître ; et la truite se faufile
entre les filets d’eau.
Entre la ville en nous. Do not disturb
que le partage
se symbolise.

Le passage se prolonge par delà ses limites, par d’autres passages, lesquels se prolongent par delà leurs limites…
J’ai grandi dans un langage, où la ville pénétrait : par des mots d’enceintes et de brique ; des phrases tourbillonnant dans des bétonnières ; des accents pointus, taillés dans la bitume ; des onomatopées, suintant des chéneaux ; des silences, échappés de l’entêtement du temps.
Le passage n’est jamais une frontière ; mais un centre, où s’opèrent les aléas du centripète, du centrifuge. J’ai grandi
hors des refuges,
sur les lignes hachurées
des traverses ; là
où les trains
dégringolent de la nuit.
Tant j’ai rêvé la ville,
qu’elle a parlé
entre mes dents.
Passage
au creux du miroir,
entre qui va
et qui s’en vient.
La ville,
convoi
immobile,
le long des regards
des chalands –
que la lumière ébroue,
fragile. À la tombée du jour,
éva-
nescence,
où j’ai
grandi.

Au fond, notre expérience terrestre comporte seulement deux choses :
l’universel et le particulier.
Fernando PESSOA
Dans son effervescence, le corps se confond avec la pluie ; le désir, devient l’arbre à palabres.
La rue n’est-elle pas une rivière, charriant des êtres en impulsion vers eux-mêmes ?
Le corps se soulève, devant le plaisir, se soulève devant la souffrance, s’expatrie, dans le sommeil des morts.
Voici que la rue, retient la mémoire ; qu’elle retient et fait passer, des instants arbitraires ; que la marge et le trottoir, se bordent d’une même rigole, où les fantasmes échouent.
Du corps, se déracinent certaines pensées ; de nouvelles formes s’éveillent.
Et la rue n’est qu’un discours, balayé d’espoirs, de salissures ; et de tout autre rêve qu’engendrent nos pas, lorsque nos pas, sont dans, la démesure…

Daniel LEDUC

lundi 18 août 2008

GESTES DU JOUR (21)


Mais qu’y a-t-il entre la vitre et les persiennes ? Quelle odeur de poussière peut constituer l’avenir ? Que devient la lumière une fois éteinte ? Où sont chassées les ombres ?
Par la ville transitent des milliards de questions.
Quelques réponses errent, parfois, tels des sans papiers, prêts à se fondre dans l’encoignure de la première porte cochère.
La ville demeure sur sa faim, comme si le commencement d’une ouverture n’était qu’un appel d’air.
Dans ma poche, toujours plein de points.
Suspensions peut-être. Sûrement
inter-
rogations.

Mais ne vaudrait-il pas mieux s’échapper des contextes, ainsi qu’on s’échappe de soi-même ? Non.
La réalité, c’est notre sudation ; ça colle à la peau, dès le franchissement du col – nous naissons dans le regard, de ce qui transpire ; dans ce qui sécrète l’animalité du monde. Sans cesse nous naissons.
Et la ville fait partie de nos pores ; nous l’exsudons loin de la ville. Nous l’exsudons.
J’ai partagé mon siège avec un pigeon.
La nature paraissait bruisser dans son roucoulement.
Je me suis senti voyage.
Des ailes, et puis des îles.
Échappement du texte
qui, sous les plumes,
nous tient.

Mais la mer est dans les villes, au cœur des vents qui s’engouffrent dans les ruelles, là même où les passants n’ont jamais voyagé, hormis dans leur propre routine. La mer est dans les centres, houleuse ventre de foule.
J’accompagne le vol d’une mouette, de mes yeux clos sur le jour. J’entends, sourd, le ressac – qu’il frappe encore sur mes pensées.
Certaines nuits (blafardes) s’éclairent par les fanaux qu’on accroche du regard ; luisent, certaines nuits ; près des vestiges, presque oubliés ; la mer est un partage.
Je croise
où s’annonce la tempête.
La ville se déchire,
comme un vieux quotidien.

Mais rien ne presse.

Daniel LEDUC

dimanche 17 août 2008

GESTES DU JOUR (20)


Le macadam sous tes souliers
fondra
sous la sourde
canicule.
La ville est un prétexte –
traversée de questions.
Je m’en vais vous dire
ces voyages intérieurs
qui nous suspendent
au vide ;
ces lectures
avec lesquelles nous franchissons
tous les périphériques ; je m’en
vais vous dire
les paroles qui klaxonnent ;
celles qui cornent
comme d’anciens souvenirs
déboîtés
dans un encombrement
d’images.
La ville, je vais vous dire. Fantômes.
Ce qu’il y a
face aux pierres,
et derrière / chaque / éternuement / de façade ;
je vais vous dire –
avant
que ne fondent
les pas,
et la marche du monde.

Cercle et sommet – qui ferme et qui domine ?
J’ai franchi le périphérique dans un bruit de tonnerre / ici, là-bas, rien ne ressemble à rien / les vies sont aussi semblables que les galets dans un fleuve / les regards vont de droite à gauche, de bas en haut, de part et d’autre / les hommes, les femmes portent une histoire, au lieu d’un sac à dos / et les rencontres s’opèrent ainsi qu’une occlusion / rien ne ressemble à quelque chose, à quelqu’un d’autre / les passants / ont trop de pas
Encore la ville qui se propage. Encore.
Faudra-t-il
rompre le cercle /
pour atteindre
le cœur des choses ?
J’ai franchi
le mur du soi.

La volonté comme représentation, ce pourrait être cet arbre qui s’enracine dans la nuit, et que les rafales de vent rendent plus robuste, face aux jours de tornades.
La ville s’éclaire dans nos pensées, lorsque nous sommes loin de la ville. Et la raison de vivre mûrit, loin du chemin.
J’ai connu un homme qui cherchait une source, un seau à chaque main. Il tournait, là-haut, dans la montagne ; et la soif l’étreignait, comme son ombre. Anéanti, il s’assit sur une roche, qui masquait l’entrée d’un puits. Il mourut ainsi, sans connaître le centre.
Regardez cette ville, elle tourne autour de quoi ?
Et qui, se retourne ?
Qui, tourbillonne – pour, qui ?

Daniel LEDUC

samedi 16 août 2008

GESTES DU JOUR (19)


L’étendue de la ville rejoint les temps dus aux frontières.
L’homme – sans rive, sans âge, et sans papiers – traverse encore les rues comme autant de frontières. Il se cache derrière son visage, comme se cachetterait une enveloppe sans mémoire, timbrée par la seule flamme du vide. Que chercher lorsqu’on tente ? Traqué par le pouvoir ?
L’homme sans rive tangue encore. Tandis qu’affluent les vagues. Que les filets se lancent. À l’assaut de l’espoir, l’homme
roule encore.
Son horizon chancelle, la ville.
Rejoins
ce que tu danses.

À la terrasse des cafés, l’aventure passe par les mots ; par le regard aussi. À la terrasse le monde, façonné dans les gorges ; dans les yeux de l’ailleurs.
Que ne t’ai-je rencontrée contre une table ronde sur un trottoir mouillé ?
Une terrasse, la ville, où s’érigent tant les vies d'aplomb, que les vies terrassées.
Y a-t-il du murmure dans le capharnaüm ? La vie n’est-elle qu’une base sans fondement ; qu’un fondement sans base ?
J’aurais pu t’offrir un verre au contenu translucide.
Boire tes mots, comme une cascatelle
sur l’aube. J’aurais pu / la vie / j’aurais pu.

Dans le regard de l’autre, toujours des rues défilent où l’on aimerait se perdre, pour trouver quelle énigme ?
La ville suinte du travail des Hommes ; elle se perpétue par les gestes accomplis ; par ceux qui se tracèrent sans jamais se donner ; par le moindre mouvement, sans la moindre amplitude ; et par ceux qui s’exclament, les gestes qui gesticulent…
La ville est un tracé. Le passant, une courbe, cintrée de trajectoires. La ville est une
esquisse.
Et le regard de l’autre, toujours, défile dans nos pensées.
« Peut-on se re-connaître ? », questionne un quidam. « Je ne suis pas personne, puisque je suis personne. »
La ville s’étend
par delà ses frontières.
Territoire-mouvance
indéfini-
ment
dénombré
d’existence – la vi
lle.

Daniel LEDUC

vendredi 15 août 2008

GESTES DU JOUR (18)


Que l’automobile crée des transports terrestres, tandis que le corps se meut en des transports sensuels…la ville crisse.
Il n’y a de permanent que l’instinct, sur sa voie sensuelle ; d’invariable que l’écho, qui demeure en lui-même.
Je lis les arguments publicitaires comme on déchire le ciel après l’orage. Seule, une pluie de lettres n’abreuve pas le désir. Je lis ce qu’il faut oublier. L’essentiel se consulte.
La ville crisse…
Nous passons notre temps
à écoper le jour.

La paix, coquille d’œuf de la guerre, peut éclater par un coup de tonnerre / engendrement du calme, avant l’éclat de voix.
Bien des villes ont été bombardées ; les plaies sont-elles encore ouvertes ? Le temps suinte, sûrement, sur nos blessures…
La ville est un bandeau, qui flotte, et le passé ?
Bien des villes ont été bombardées.
Je n’aurai pas connu les trous qui percent dans la mémoire, pas connu les trous d’obus, ni ceux qui déracinent – à moins que je sois grignoté par l’oubli, pourfendu de bas en haut par une échelle, dont les barreaux, séquestrent…
La ville grimpe
jusqu’à l’é-
tendue.
Son sommeil
n’est pas la nuit :
mais le retrait
du jour.

Il y a des guerres paisibles, et des paix guerroyantes, disais-tu, mes tranchées sont des ruines, là-bas, sur la ville…
Le clochard n’a plus de nom. Sans domicile et sans nom. Le clochard n’a plus d’étoiles. C’est un reflet, sur nos consciences. Une averse, sur le trottoir. Une escalade, après la chute.
La ville se dévêt face aux miséreux ; elle abandonne ses oripeaux, éternuement dans les gorges profondes.
Demain est une autre pensée ; ou bien demain expire !
Et se perdent les chemins…

Daniel LEDUC

GESTES DU JOUR (17)


Les ruines, prolongement de la mémoire, se reconstituent par le manque. Chaque ville, chaque vie, chaque passé a ses ruines. Il en demeure pas moins… les vestiges parlent, du plus loin de l’absence.
On se construit sur des bases, mais aussi sur des creux ; sur du ferme, mais aussi du mobile ; du meuble, où se rencognent les symboles et les mythes ; de l’instable, dont découlent les flots et les laves, qui nous charrient vers le possible.
La mouvance crée le geste –
la geste
du jour présent.

Comme le tonnerre, “l’arbre est subversif”(1) – mais son temps s’enracine dans le ciel ; et les autres natures le poussent à la confrontation, au sursaut perpétuel.
Que la ville est des arbres, cela permet la révolte du corps, et l’envol des pensées.
Que l’on en plante un, et le désir s’accroît. Qu’un seul se déracine, et le courage s’estompe.
La ville est une branche sur laquelle vibrent les pistons et les rouages de la société. Forte ou fragile, selon qu’elle résiste ou qu’elle ploie ; la ville s’ouvre, lorsqu’elle bourgeonne.
Et je respire, comme la foudre.
Je me plante

où les oiseaux sont rois.

Le piéton constamment traverse. Lui-même est traversé par des franchissements de pensées ; et son pas prend l’allure d’un trot qui regimbe.
Le piéton voit passer la rue ; ses traces d’essence, ses effluves de gasoil ; ses cris perpétuels dans le crissement des villes ; le piéton voit passer ; tout ce qui piétine.
Et la marche, s’emboîte avec le pas ; la durée, circule avec le temps ; l'intervalle, se débride avec l’espace ; le champ s’ouvre, avec les yeux.
Je n’aurai de vraie connaissance, que celle qui me porte,
celle
qui se soulève.
Les pas
s’en vont
au soir.
Et je m’en vais…
cueillir.

Daniel LEDUC

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(1) Paul Rebeyrolle.

mardi 12 août 2008

GESTES DU JOUR (16)


Dans la ville, quelques musiciens tentent de tempérer la monotonie des sons et des formes. Fréquemment sont-ils chassés comme de vulgaires insectes.
Les putains, elles aussi sont traquées ; de même que les clochards célestes ; les SDF, les sans-papiers…
Trop souvent la ville ressemble à une nappe, nette, trop bien repassée – la vie – ne doit faire aucun pli !
Le journal, froissé par les lourdeurs du monde, me tombe des mains. Je ramasse ce qu’il y a de souffrance, le dépose sur un banc, à côté d’une jeune guitariste.
S’élève un blues, qui donne aux murs, un passage vers l’espoir…

«Que sait-on de notre ignorance ?», se demande un piéton, bousculant un aveugle. «Que voit-on de transparent ?».
Je pense à cette matière sombre qui constituerait une part non négligeable de l’Univers, à ces éléments non-baryoniques, aux multiples dimensions (1) -- et le vent qui feule contre mes persiennes devient un langage crypté – et la nuit n’a d’obscur que son nom – et tout ce qui pense [ici] ignore tout ce qui pense [ailleurs] – et l’océan n’est qu’une larme (de rire ou de pleurs) d’où émerge l’étrange vague du temps – soupir sans souffle…
La ville ne me dit rien, qui sache se faire entendre.
La ville a pour nature, de n’en avoir point.

L’enfant observe le fleuve qui scinde la ville en deux fractions égales. Il ne sait quelle rive choisir. L’une s’apparente à une usine, à une fourmilière d’où émergent dix mille percussions / voix outils / retentissant comme cymbales et tambours. L’autre rive murmure ; elle murmure autant qu’il est possible ; quasiment imperceptible, ce murmure ; peut-être des pensées ; des grattements infinis ; des questions sans réponses, à coup sûr ; de la pluie ; dans un ciel rougeoyant…
“Les deux hémisphères cérébraux sont deux structures quasiment symétriques, reliées entre elles par des fibres nerveuses appelées commissures.”
Entre mes lèvres, un murmure retient l’enfance ; peu à peu, amplification du sens ; et le son se répercute, dans un bruit de cymbales.

Daniel LEDUC

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(1) Théorie des cordes.

lundi 11 août 2008

GESTES DU JOUR (15)


De la chair, il t’en faut dans les mots
pour agréger la ville. De la viande, dans tes mots,
gorgée de lard
qui barde. De la
venaison, au fumet si sauvage,
qu’elle s’embrase
dans le gosier.
Tu écris, comme on fume
la terre. Le cerf brame
dans tes marges. Et le hêtre blanchit,
enraciné dans la peau
de tes phrases ; la ville
suinte
de sève.
Les femmes
sont nos feux verts.

L’insomniaque qui dort en chacun de nous
construit des rêves qui ne tiennent ni debout
ni couché au fond d’un puits.
Il est des pensées nocturnes plus profondes
que les gorges du monde ;
des pensées sur la vie
qui défile(nt) dans les villes
occultes. Et le guetteur
à l’ombre des synapses
lance vers le futur
des érections
de châteaux
de cartes.
Ce qui s’écrit
sur la page
s’écrie d’abord
dans les circonvolutions
de l’obscur.
La ville – paraphe – chaque rue –
chaque – émotion – pas-
sagère –

La ville n’a pas d’architecture, ; elle a des strates de mémoires que compulsent les architectes dans l’observation ou dans l’oubli ; la ville est un brouillon qui s’organise selon les lois et les principes ; les artistes, tant bien que mal, distillent ; et la ville, dense, ne se découvre qu’en cette brumeuse chorégraphie.
J’arpente, c’est une pensée qui marche ; j’arpente les caves et les soupentes, les trottoirs et les toits. C’est une pensée qui pousse, je sillonne jusqu’au champ de vision, là où la limite s’égare, où elle n’est plus un concept, mais une vague qui échoue. Je sillonne dans les ruelles, je parcours ma vie, mes livres ; et je fréquente.
Que la ville a d’angles à mesurer ; d’azimuts et de latitudes ; de longitudes et de diamètres !
Que la ville est encerclée – par elle-même !
Que je m’étonne de l’apparence
quand elle soulève
tant de poussière !
Que je me dé-
concerte !

Daniel LEDUC


GESTES DU JOUR (14)


Et que dire de l’Onyx ; des pierres de songe
auxquelles on se confronte
chaque nuit
dans l’opacité du sommeil ?
Et qu’entendre du Zircon
dans sa mémoire terrestre,
magmatique et doyenne ?
Je pense la ville
comme autant de désirs
sur un corps de pierre.
En chaque homme,
des rues s’insinuent
qui conduisent au crépuscule.
Précieuse serait la ville
ceinte
d’espaces
sans distance
ni frontière.
La ville –
éven-
tuelle.

Le rougeoiement du ciel, sur cette ville éclatante et furtive (ici ne passent que des regards fuyants) ; les râles et pétarades sur les chaussées conduisant au soleil (moins de pesanteur, semble-t-il, vers le Sud) ; les discours, ensablés déjà, aux terrasses des cafés qui percolent…
J’ai souvenir de nuits à écrêter le monde ; « table rase », disait-on, « pour engager la vie » ; souvenir de nuits, à émonder le monde…
Que circule cette ville, comme circule notre sang.
La nuitée est tranquille, là où passent
les passants…

La ville, ne respire qu’avec le vent ; et combien les murs s’asphyxient – souffle coupé – par le hachoir – des vrombissements. Comme une peau, les trottoirs se rassurent – contre la tendre paume – de la nuit.
J’ai caressé des femmes, aux rivages indomptables, et je me suis levé, pour crier « libertés » !
La ville, ne respire, que par, autonomie. Elle s’allonge auprès de la campagne, mais façonne, nuit et jour. Son repos lui-même, est un travail d’indépendance.
J’ai caressé des femmes, rebelles ; qui m’ont appris le feu ; sa chaleur, son élan ; sa vérité – femelle.
La ville ne dort, que d’une oreille. De l’autre, elle perçoit l’océan Qui en chacun. Respire.

Daniel LEDUC

samedi 9 août 2008

GESTES DU JOUR (13)


Entre iris et rétine, j’ai la ville dans les yeux,
aux clartés insomniaques, j’ai la ville dans les yeux.
Les femmes accomplissent
le soulèvement du jour,
ainsi qu’on soulève
la question.
Le temps
n’est plus à perdre,
mais à changer de ciel.
Par delà les contours,
c’est toujours
la ville
qui opère – dans les mémoires – toujours.
Le temps est une ville.
Dans un regard – lointain
Le temps

Apprenez à connaître ce qu’il y a d’erreurs dans vos doutes. Apprenez donc les multiplications de vos vertiges.
Je sais conter mon enfance
auprès des arbres.
Ce que j’ai vécu,
la ville s’en souvient-elle ?
Et les visages croisés,
où vont-ils aujourd’hui ?
Dans le secret des livres,
la ville compte ses pierres,
une à une,
histoire d’assimiler ses heurs
et ses malheurs,
une à une,
compte ses pierres.
Le secret,
c’est dans le nombre –
zénith et nadir
abolissant les ombres
peut-être. y a-t-il
à raconter l’enfance,
alors que le soir
tombe
sur les vagues
et les flambeaux ?
Agitez donc
une lanterne :
la vie / tourbillonnera – ballerine !

LA DÉCHIRURE DE FEU CHAUFFÉE
avec des ciels à travers le monde.
Paul CELAN
L’éraflure sur ton nom, camarade,
braises encore vives
derrière ton front ;
te voilà sur la terre, étranger
comme novice ; quand même
tu connaîtrais
les formules et les nombres.
Le “Pouvoir” t’exclut ;
enclin
à décliner
lui-même,
il ne te connaît point.
Peu importe qui tu es
pour celui qui expulse…
Il faudra bien, un jour,
que soient jetés la haine
et ses contours fétides ;
que s’extirpe
la Crapule
qui sévit aux “Sommets” !

Daniel LEDUC

vendredi 8 août 2008

GESTES DU JOUR (12)


La réalité est abstraite”(1) ; et la ville démontre l’apparence des pierres.
Nous sommes dans un jardin de béton
où les fleurs sont des lanternes.
Les arbres occultent ici
la chanson incendiaire des oiseaux.
Regardez donc
fleurir
les graffitis.
Comme les lettres forment les chiffres – à dénombrer chaque instant…
La mémoire ne nous partage-t-elle pas ? Quartiers
d’une même orange.

La nature surprend la ville dans ses entrelacements. Toujours, quelques “mauvaises herbes” seront là, affleurant du bitume.
Je lis dans les pensées des miroirs, lesquels ne réfléchissent que nos propres échos. Réverbérante, la réflexion qui se confronte ; comme se mesure chaque mot, sur chaque ligne, de chaque livre.
La ville est encore à écrire ;
nous ne finirons
de calligraphier
son nom
.

Le lierre pourrait creuser la pierre, s’immiscer dans les anfractuosités du mur, dire combien la vie s’agrippe, quel que soit son destin. Ses tiges, au milieu des entrenoeuds, pourraient se cramponner, à la façade du jour. Et de ses fleurs pourraient naître des baies, dont les grappes défieraient les couleurs de la ville. Le lierre pourrait grimper ; tutoyer le soleil.
Que faut-il donc, pour aller plus haut ? Sinon regarder les nuages ?
Je n’ai de ciel,
que la couleur du vent.

Par le lacis de la vieille ville, les rues sont un cerveau. Circonvolutions / synapses.
Axones / neurones.
J’ai le désir de marcher à perte,
dans les ruelles
aux caniveaux errants ;
imaginer ces milliards de pas
qui ont tracé leur siècle
(et nous descendrons
encore
des squelettes de la terre) ;
marcher dans les empreintes,
pour emprunter les voies…
Il n’y a pas de repère non,
hormis l’ombre qui croît.
Le siècle
est un mystère.

Daniel LEDUC
www.harmattan.fr/daniel-leduc

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(1) Albert Jacquard.


mercredi 6 août 2008

GESTES DU JOUR (11)


Partout dans la ville, les toits couvrent l’alliance. Les accords et les pactes cimentent, ce qui se nomme -- figures / objets / êtres-et-choses -- dans la continuité du translucide et de l’opaque.
Lorsque le doute me rejoint, lorsqu’il fore dans mes os, que la moiteur emplit ma bouche, il me reste à lâcher les derniers mots : qu’ils s’en prennent à l’inconscient du lecteur – comme on s’en prend aux autres, dans sa propre colère.
Qu’il y ait ainsi une incompréhension complice, un libre attachement, une empathie qui confine au calque, à la négation du calque.
La ville est ce que l’on retient de ses faces, de ses revers ; de ses doublures, et de ses actes.
Il en va de même
pour la vie.

Le passé se retient, leçon mal perçue, par l’enchevêtrement des pierres ; par ces ruines qu’escamote le présent ; par d’antiques graffitis suintant dans la terre ; par cet halètement de la ville, sourde respiration du temps, qui nous métamorphose.
Je n’ai rien dit de ce qui passe ; seulement ébauché un remous, dans les clapotis de l’instant. Je n’ai rien dit des heures qui tassent, ni des contours qui s'estompent, des pas perdus au creux des routes, des trottoirs secoués par le mouvement des foules ; je n’ai rien dit de ce qui file, loin, derrière nous.
La ville se branle, contre / l’inéluctable.

La force qui sous-tend la ville, c’est ce bourdonnement qui tangue dans les cafés. On y refait le monde, toujours, comme Sisyphe hissant son rocher ; on y refait les sommets et les bases, les assises et les toits. On y refait le portrait du monde.
Et je m’assieds à cette table, maculée de mots, sur laquelle j’ai tant écrit. Et j’écoute les conversations qui se bousculent ; je ramasse les miettes de vie, chassées des verres et des soucoupes, par le souffle des murmures.
Je traque ce qui meurt et demeure.
La ville
n’a pas le temps.

Daniel LEDUC

mardi 5 août 2008

GESTES DU JOUR (10)


Voracité de la mémoire : le jardin est dans mes yeux, pelouse aux pieds des arbres ; et des fruits encore surs se suspendent autour de moi ;
c’est la saison juvénile, celle des corps imaginaires, des splendeurs élancées ;
les chimères s’incarnent, et les chairs sont illusoires ; les mots hantent, du cellier aux combles, l’ivresse des jours
émoustillés…
Voracité de la ville, qui chaque nuit, digère nos heurts – nos blessures – nos paix conquises – stigmatisées.
Je franchis le Rubicon, à cet âge vertical,
et foudroyé – comme on franchit
le seuil,
les lèvres des femmes,
avant même –
l'épuisement --
du feu.

Dans le sommeil de la ville s’exposent tous les futurs possibles ; chantiers, travaux publics, aménagements urbains ; ce sont les pensées qui transformeront les perspectives, accordant à la ville un avenir clément ou pas.
Je respire ce que l’air deviendra, ce que l’eau filtrera, ce que la terre cimentera d’alluvions, de découvertes – d’imaginaires ignés, ou de réels transis. Je hume ces pensées, capiteuses ou non, sachant ce qu’il en est d’étreindre des perspectives, d’inhaler des perceptions remplies d’éclairs, de brumes. J'envisage – ce qu’il faut – dévisager.
La ville est un seau qui se vide lorsqu’il se plaint : qui se remplit de mille percées, de dix mille passages – de trouées dans l’arborescence des constructions. Je sais cela, comme on vertige.

Les rues m’apprennent à emmener mes pas, là où le soleil se confond avec la pluie. Ainsi n’y a-t-il plus de frontières, entre ce qui éclaire et ce qui sombre.
L’Homme qui marche, le voici chaussé de guêtres et de sabots, de mocassins et de mules ; de tout ; et de rien.
La ville s’empare des éclairages. Les fenêtres, derrière elles ; les rideaux, derrière eux ; il y a comme des tremblements de clarté, des scintillements obscurs (on dirait une parole), des lueurs d’espoir pour ce qui se ferme, pour ceux qui s’enferment… il y a du rayonnant jusque dans le noir.
J’ai cette palpation des contours qui donne confiance dans les ombres – pour ce qu’elles sont preuve de lumière.

Daniel LEDUC

lundi 4 août 2008

GESTES DU JOUR (9)


Remembrance, je me souviens de toi qui passais sur mes pas ;
je me souviens de l’ombre que faisaient tes silences ;
je me souviens du mot que tu ne prononças.
La ville, serait-elle un courant d’air ?
Une illusion permanente de ruptures ?
Un chassé-croisé de regards amblyopes ?
Un fort roulis dans un jour sans sommeil ?
Je me souviens de toi.
La foule, cet animal, traque le temps, qui se détraque ; la foule, emprisonnée dans le mouvement ; je l’entraîne dans mes pensées.
Et le soir n’est qu’un renard, qui nous attend.
J’avais perdu quelque chose sans importance, c’était un jour de pluie. Mes vieux souliers glissaient sur le bitume, on a tort de quitter sa mémoire. Je t’ai vu là perdu, la main comme une sébile, à marcher immobile. Je t’ai offert des mots, un café sans sucre, des mots, et d’autres nourritures.
Tu venais de si loin
.
La ville absorbe toutes les houles,
débarque
les équipages.
Les jours s’empilent, tu le sais bien.
Il y avait
de la pluie,
comme un grain
de beauté
sur la ville.
C’était, il y a si loin,
de toi,
je me souviens
.

Le temps fuit de la dégoulinante, le temps s’épanche.
Je lis Kerouac, et trace la route. Les villes se sont dissoutes, les artères corrodées.
J’entends Woodie Guthrie chanter Liza Jane.
Le temps s’emmêle, comme disent les matelots, le temps s’en mêle. Et je regarde filer la laine ; mes souvenirs ; mes airs d’antan.
« La ville, quand on la quitte, n’est qu’un soupir », disait un bourlingueur – dont j’ai venté le nom.

Beauté ; c’est dans l’espérance du monde que la beauté s’incarne.
Entre toi et l’ailleurs, je perçois ce qu’il y a de beau, dans la distance et la mouvance des formes ; ta peau reflète le futur dans son passé de chair ; tu es la femme qui trans-figure.
La ville domine lorsqu’elle est belle.
J’ai croisé des statues à la beauté de marbre. Je leur ai dit combien le temps n’existe pas. Mes rides, alors, se sont plissées d’effroi.
La ville souvent décrépit, par une violente architecture.
Je me promène dans la conscience de l’aube.
La ville s’ébruite, loin du silence qui parle.

De la beauté surgissent nos flammes,
au débotté, surgissent
nos larmes
sur la terre
déterrée.
Je n’ai connu la guerre
que par le souffle des images :
vision déjà suffocante.
Alors, qu'en est-il du palpable ?
Le réel appartient au lieu
dans le brusque –
qui guerroie.

Daniel LEDUC


dimanche 3 août 2008

GESTES DU JOUR (8)


Certaines femmes ont tellement de tendresse qu’elles donnent sans le savoir du sens à l’origine du monde.
Elles font vibrer les feuilles sur lesquelles s’inscrivent le printemps, et son Janus, l’automne.
Elles nous protègent des mauvaises directions ; nous insufflent, les forts courants d’air.
Ces femmes, prolongement de nos gestes. Elles nous propagent, dans les ondes.
Je sais bien qu’il y a des lendemains qui tombent ; mais dans chaque chute il y a du rebond, de la renaissance qui se prépare, des lendemains plus élastiques, des escalades possibles.
Et le regard d’une femme peut provoquer l’élan nécessaire à la suite.
Je sais bien que les mots s’abîment à l’air du temps. Mais la voix, la tonalité d’une femme a le pouvoir de ravauder les phrases ; et la parole peut alors se lancer à nouveau, à l’assaut des cataractes et des vagues. Je sais bien.
Certaines femmes lancent leur filet, comme on lance un cri d’espoir.

La ville, s’étendra-t-elle, jusqu’à la ville ?
Les chemins de terre, s’enterreront-ils, sous le bitume ?
Les haies, deviendront-elles, des parapets ?
Et le chant des feuilles, sera-t-il recouvert, par le klaxon du vent ?
Je vais à la rencontre de qui fourmille et de qui tremble. Du flageolement des pas. Des pensées vacillantes.
Les certitudes nous achèvent, bien plus que de raison ; et nous mourons de ne plus appréhender ce qui frissonne – ce qui chavire dans le regard du temps.
Je vais, au fond de mon jardin, accroître ce tas de feuilles, qui fera l’humus des jours prochains. Brûler toutes les brindilles. Planter les mauvaises herbes. Déraciner le vent.
Je vais me tordre, ainsi qu’une vielle branche, dans le rire du destin.

Mais le destin n’est qu’une pute dans un rêve cauchemardé. On la trousse cette catin, et l’on se fait baiser…
Je m’en vais à la recherche du peu ; du brin de la pointe du soupçon ; d’un nuage de lait, sur un ciel de café ; d’une rosée suspendue, au bord des saules pleureurs ; de la fente, par où, vivre encore, un temps. Ne serait-ce qu’une pause. Qu’un silence.

Mais le silence lui-même s’interpose aux silences. Et la paix n’est qu’un revers du tumulte qui gronde.
Là-bas, par delà les frontières, le chaos gagne ; la mort triomphe des appendices et des scolioses ; de la chair qui se dégrafe telle une gourgandine, ivre d’écume, de sperme, de cruors et de boyaux.
Je n’ai, dans ma besace, que quelques mots qui traînent ; oubliés des discours et des formules piquantes. Quelques mots sans vergogne, à faire rougir le fer, et pâlir la farine.
Je les jette aux galeux, aux bien-pensants qui graillent, ces mots orduriers ; qu’ils enflent leur panse, à faire péter leurs entrailles, dans un souffle raillant.
Seul le silence –
sait combien la vie –
est chair – à canon !

Daniel LEDUC